30 décembre 2012

Un bon jour pour mourir

C'est difficile de reprendre après la sorte de gueule de bois que procure le fait de passer à côté d'une fin du monde. On s'y remet, en continuant dans le genre "disque parfait d'un groupe génial qui a fini par devenir vraiment ridicule" avec Mellon Collie and the infinite sadness, le chef-d’œuvre des Smashing Pumpkins.

Nous sommes en 1995, le monde du rock grand public essaye de se remettre de la mort d'un blondinet, vous savez bien, celui qui faisait mouiller les filles et se déchirer les jeans des ados rebelles. Et un matin, BAM! Dans les bacs des disquaires, on trouvait un joli CD à la pochette merveilleuse, c'était un double, il était rempli raz la gueule de titres tous plus bons les uns que les autres. Et en plus Billy Corgan, le chanteur mégalo, s'était rasé le crâne. C'est dire si il y croyait à fond...

Et aujourd'hui, tout continue de lui donner raison puisque l'album s'est vendu à plus de dix millions d'exemplaires rien qu'au États-Unis. Mais surtout, presque dix-huit ans plus tard, écouter ce disque en entier donne toujours autant de frissons. Du mélancolique "Tonight, tonight" et ses jolies envolées de cordes au parfait "Zero", il y avait tout ce qui fait un grand classique. Le genre de disque un peu prétentieux, riche jusqu'à l'extrême mais tellement inspiré, typique de ce qui se faisait dans les 70's.

Sur les vingt-huit morceaux que compte l'album, il n'y a aucun déchet, tout est bon. Un miracle. Des mélodies parfaites dans tous les coins, des rythmiques à dégouter bon nombre des batteurs de la planète (Jimmy Chamberlin!!!!), une variété de chants incroyable. Je vous le dis, un miracle. Dix-sept ans que j'écoute "Bullet with butterfly wings" en m'imaginant à la batterie, sans jamais me lasser.

Difficile alors de comprendre comment le groupe a pu se déliter comme il l'a fait par la suite. Le batteur passant la moitié de sa vie en désintox, les chevilles de Corgan qui grossissent jusqu'à éclater, alors que lui se rêve avec une auréole sur la tête. Ah le succès. Arrivés à leur niveau, certains se tirent une balle (oui, encore lui), ou se persuadent tout seuls qu'ils sont les sauveurs du rock, de l'humanité ou de l'univers (dans le désordre). Corgan est de cette catégorie, à tel point qu'il finira par faire peur à ses collègues et se retrouvera seul à l'orée des années 2000.

Cette année est sorti un nouvel album, Oceania. Il ne reste aujourd'hui plus rien de la grâce et de la grandeur des citrouilles d’antan. Le disque est symptomatique de la vacuité que peut atteindre un génie qui est lui-même convaincu d'en être un. On s'en remettra, on en a vu d'autres dans la jeune vie des musiques qui font du bruit. Et il nous reste Mellon Collie et ses deux grands frères, dont je vous parlerai l'année prochaine, si vous êtes sages.

Aujourd'hui est un bon jour pour aimer les cannibales!

22 décembre 2012

Apocalypse now

Réjouissez-vous mes frères car l'apocalypse est pour hier. Il n'y a pas eu de cris pour déchirer cette nuit d'attente des fêtes de noël, il n'y a pas eu de meurtre ou de sauvagerie. Du moins, pas plus que d'habitude. Pour fêter (déplorer ?) la préservation de notre planète si belle et si futile, quoi de mieux que de parler de R.E.M ?

Avant de remplir les stades des contrées civilisées et d'être des stars vivants loin du monde et de ses préoccupations; R.E.M était simplement un très bon groupe de rock américain. Un des meilleurs de la première moitié des années 80. Michael Stipe avait encore des cheveux, leurs textes étaient aussi cryptiques qu'engagés. Derrière, en toile de fond, il y avait Reagan, le capitalisme, l'individualisme finalement gagnant de la guerre des idéologies.

En cinq ans et autant d'albums sortis loin des majors (de 1983 à 1987), pas sur un petit label kurde non plus, R.E.M a discrètement mais sûrement fait son trou pour devenir, de disque en disque, de plus en plus gros. Jusqu'à après leur arrivée sur Warner où ils finirent par devenir énormes, puis boursouflés. On ne compte plus les tubes sur ces cinq premiers LP. Les plus connus : "Radio free Europe", "Superman", "So central rain" et "It's the end of the world as we know it (And I feel fine)" (Ah l'apocalypse...). Plus quelques pépites qui diffèrent selon les goûts ou les époques.

Il est parfois difficile d'arriver à faire abstraction de la suite lorsque l'on écoute ces disques, mais si l'on y arrive on est transporté bien loin du rock formaté des années 2000. Dans cet ailleurs où l'androgynie n'était pas encore une pose marketing, où un groupe venant d'un bled relativement paumé des États-Unis pouvait devenir le centre de l'intention. Une époque où c'était grâce à la radio que tout cela se produisait, internet n'étant utilisé que pour faire la guerre (une grande époque, je vous le dis). Et à ce moment-là, R.E.M ne ressemblait qu'à lui même, la magie des arpèges de la guitare de Peter Buck, la nonchalance de Stipe allait dessiner un genre nouveau : Le college rock (ouh le vilain nom).

R.E.M avait alors tout du groupe idéal, ils avaient encore un côté frontal qu'on pourrait presque croire hérité du Hardcore, la production était minimaliste, les titres rentraient dans la tête comme par magie. Par la suite, il leur fallu les artifices d'arrangements pompeux, d'orchestrations complexes pour essayer d'atteindre la grâce de ces 56 morceaux gravés durant cet age d'or. Certains sont persuadés qu'ils y sont souvent arrivés, d'autres aimeraient le croire à l'écoute d'Automatic for the people. Mais jamais ils n'ont pu retrouver l'impact mélodique ou la perfection de Murmur, Reckoning, Fables of the reconstruction (le plus faible), Life's rich Pageant et Document. Cinq Noms d'opus qui sonnent encore aujourd'hui comme un sésame à l'oreille des amateurs de rock indé. Quand "rock indé" voulait encore dire quelque chose et n'était pas un fourre-tout dans lequel se côtoie le pire et le pas bon.

Il s'en passait des choses dans les années 80, ma bonne dame.

Restez cannibales, et consolez-vous : une prochaine fin du monde sera bientôt annoncée.

10 décembre 2012

Dernier top avant la fin du monde

Profitez de vos derniers instants sur terre en écoutant de la bonne musique et soyez des cannibales damnés pour l'éternité, pour un disque, pour un concert ou une jolie pochette :

C'était bien la fin du monde!

1-Papier Tigre : Récréation.
2-Dinosaur Jr :  I bet on sky.
3-A Place to bury strangers : Worship.
4-Menace Ruine : Alight in ashes.
5-Electric Electric : Discipline.
6-Unsane : Wreck.
7-Fordamage : Volta desviada.
8-Mars Volta : Tourniquet.
9-Disappears : Pre language.
10-Melvins: Freak puke.

Ça aurait pu être pire ?

-Pinback : Information retrieved.
-Alt-J : An Awesome wave.
-Bat for lashes : The Haunted man.
-Animal Collective : Centipede Hz.
-The XX : Coexist.
-Muse : The 2nd law. (Ce n'est pas très gentil quand vient la fin du monde de tirer sur les ambulances.)

C'était beau la fin du monde!

-Deftones : Koi no yokan.
-Unsane : Wreck.
-Papier Tigre : Récréation.
-Clytem Scanning : Mirada fuerte.
-Vélooo : Même pas mal.

En vrai, c'était bien aussi!

-Michel Cloup, Papier Tigre et Electric Electric à la Clé.
-Papier Tigre et Electric Electric au Nouveau Casino.
-Mamiffer, Menace Ruine à l'Espace B.
-Dillinger Escape Plan au Trabendo.
-Mastodon, Red Fang au Bataclan.
-Melvins, Psychic Paramount, Sleep au festival Villette sonique.

8 décembre 2012

La Peste

On continue ce qui est en train de devenir une série sur les "classiques" français. Nous sommes en 1998, l'humeur est sombre, Chirac est un président qui ne fait même plus rire, le racisme est aussi banal que "le bruit et l'odeur", bientôt le pen sera au second tour des élections nationales. Un peu de patience. C'est une époque où l'on croit que ça aura du mal à devenir pire, et pourtant... On tombe alors encore sur de la bonne musique à la télé, l'émission Nulle-part ailleurs invite Les Thugs, Lofofora et Diabologum sur scène. Elle a surtout invité notre héros du jour, le bien nommé Oneyed Jack (Twin peaks rules) à jouer à l'époque de cynique (1995). Album sur lequel on trouvait "Le pouvoir", leur titre le plus connu pour cause de procès sur une simple phrase. "Bleu, blanc, rouge : trois couleurs pour la vision de cauchemar".

Ambiance. Cet article parlera du deuxième LP, Arise, mon préféré dans une discographie sans faille. Dès l'ouverture "Real", le ton est donné : sombre, aride et frontal. Les textes sont fleuves, la section rythmique est marteau-pilon. Le bassiste est toujours aussi impressionnant de groove et de technique. Chaque instrument est à sa place, les samples et les scratchs sont bien mieux amenés que sur le premier disque. Il n'y aura de concession d'aucune sorte. Fabien rappe comme jamais, son flow est fluide comme une giclée à haute-pression, les textes parlent du mal être ambiant, d'aliénation, de dépression.

La lumière est parfois là, caché derrière une phrase sous la forme d'un espoir, d'une chose à atteindre mais la chape de plomb que représente le monde extérieur est si lourde que le but semble bien souvent inaccessible. "Le choléra" et son clip cathartique lâche la bride à une forme de haine libératrice, "Will I arise ?"conclut le disque sur une note plus apaisé même si, ici comme ailleurs, la vision plus positive des choses ne s'exprime qu'à l'interrogatif.

Musicalement, le chemin parcourut depuis Cynique impose le respect, Oneyed Jack n'a jamais sonné aussi construit, réfléchi et les ambiances sonores développées par les machines sont d'une richesse rarement atteinte dans le genre. Le groupe n'en perd pas pour autant son côté frontal et massif grâce à des riffs de guitares bien lourds et à sa section rythmique si versatile. Une question vient alors à moi : comment se fait-il que le groupe, ayant été le meilleur représentant de la fusion à la française, qualitativement bien au dessus de la mêlée, est certainement celui qu'on a le plus vite oublié et celui qui a vendu le moins de disque.

Jack le borgne est donc resté dans l'ombre d'un No one is innocent ou d'un Silmarils (Les boys-band c'est de la musique ?), non pas à cause d'une qualité musicale moindre (à côté de Silmarils il faudrait vraiment être mauvais) mais bel et bien parce qu'il est toujours resté sans compromis. Les textes sont toujours sombres et souvent glauques, l'aspect festif beaucoup moins présent que chez les voisins et la musique bien plus complexe et certainement moins centrée sur la mélodie. Ici il n'y a pas de confort d'écoute pour petit rebelle en baggy (on est dans les 90's), Oneyed jack ne vend pas du rêve ou de la révolte en tube. Il crie son message, son constat, sans aucun souci des modes. Il est l'enfant borgne de la réalité et du quotidien, ou plutôt son bâtard. Et c'est pour cela qu'on l'aime.

Ce groupe mérite vraiment qu'on se penche sur son cas et cela même si parfois la production semble dater. La richesse musicale, l’intransigeance du message, l'alchimie parfaite entre metal, rap, trip-hop, funk et une pincée de reggae font de ce groupe unique une pépite dans les archives du rock de France. Il n'y a pas besoin d'avoir grandi dans les 90's ou de céder à une nostalgie maladive pour se prendre dans la gueule quelques scratchs et des samples de Rage against the machine. Il n'y a pas d'époque idéale pour être en colère, se sentir concerné, ressentir du dégoût face à l'état du monde. Depuis 1998, il se dégrade encore et encore, en moins de temps qu'il n'en faut pour passer du baggy au slim, il avait déjà connu de nouvelles guerres, de nouveaux tyrans. La musique, elle, n'en est que meilleure mais cela est une autre histoire.

"Hier encore je n'étais rien, aujourd'hui je représente le choléra".

Ne passez pas à côté de ces groupes français aussi méconnus qu'ils sont géniaux et soyez cannibales

3 décembre 2012

"I have a dream..."

Je voulais depuis longtemps vous parler d'un groupe incroyable, de ceux qui ont marqué leur temps du sceau des grands. Ils étaient quatre gars des environ d'Angers, ils jouaient un rock nerveux et sans fioriture. Ils s’appelaient les Thugs. Come On people!

Ce post se concentrera sur le récent coffret CD/2 DVD sorti par les intrépides Crash disques. Alors qu'est-ce qui se passe là-dedans ? Pour le CD, un live enregistré lors de la tournée de reformation de 2008 ( à l'origine à la demande du label ricain Sub pop) à Bordeaux. Et les deux DVD sont bien remplis, puisque outre un live à Angers (forcément), on a le droit à plein de clips d'époque, des courts-métrages, un docu promo de l'enregistrement de Strike et un super documentaire qui retrace toute l'histoire du groupe, avec des interventions de ses membres et du patron de Sub pop.

L'histoire ? Le groupe, séparé à la fin des années 90 ne sait pas reformé par nostalgie ou par appât du gain. Ce qui transpire de ce live, de cette tournée de reformation et du documentaire c'est plutôt la grande générosité, l'humilité et l'intégrité des Thugs. Un groupe sans compromis, qui pendant près de vingt ans a trimbalé ses instruments à travers l'Europe, le japon et les États-Unis, sortant une dizaine de disques aujourd'hui références pour des tas de gens. Pourtant si vous demandez à votre grande sœur (ou pire à votre petit frère), il y a peu de chance qu'elle connaisse les Thugs. Car le groupe n'a jamais cherché à vendre pour vendre. Ils n'étaient là que pour la musique, le plaisir de la partager.

Leur héritage sur les scènes rock et punk de France est largement plus important que celui de Noir Désir ou Téléphone (Ah non ça c'est pas du rock, pardon...). Les Thugs n'avaient pas d'attitude de star, ils sont arrivés à une époque pendant laquelle le DO It Yourself n'était pas une posture mais une nécessité, la cartographie des salles de concert de l'époque en  France n'était rien à côté de celle d'aujourd'hui. Ils ont donc longtemps enchainés les concerts dans les squats et les locaux associatifs. Ils font partie de ces quelques passionnés qui ont fait naitre et nourri l’alternatif en France. Mais attention ne les confondez jamais avec la Mano Negra, les Garçons bouchers et autres Satellites. Tout ici est d'inspiration anglo-saxonne, on pense aux Buzzcocks, au Krautrock pour le côté hypnotisant et au pionniers de l'indie rock d'outre-atlantique, Husker du en tête.

Cette reformation apparait alors clairement comme quatre copains (dont trois frères) qui reviennent faire un petit coucou à ceux et celles qui les aimaient et à qui ils manquent. Il n'y a aucun autre enjeu ici que de prendre du plaisir, dès le début du deuxième morceau, le chanteur Éric Sourice lâche un "On est vraiment très très content de vous retrouver". Il n'y a aucune démagogie ici, jamais vétérans d'une scène n'ont été aussi modestes, jamais aucun groupe français n'aura marqué l'histoire du rock comme les Thugs, à la force du poigné, avec juste de la sueur et de la passion, loin des médias mangeurs de variété et de scoops éphémères mais là où la musique a vraiment sa place, dans les foules des concerts, sur le sillon d'un bout de plastique noir. Et ça ce n'est pas rien.

Pas loin de chez vous, il a toujours quelque-part un endroit nourri de sueur et de bruit, alors restez cannibales!