26 novembre 2013

Au-delà du dôme du tonnerre

  Phœbus est le second LP des suisses de Cortez, après Initial en 2005 qui avait déjà remis à l'heure les pendules du post-hardcore. L'an dernier, ils avaient réussi à se rappeler à notre bon souvenir sur un split écrasant avec les toulousains de Plebeian Granstand. Ambiance.

Si ta vie ressemble à un mixte entre Mad Max et New York 97, que tu te balades dans les rues de ta ville avec une Kalachnikov visée sous le bras, tu n'auras peut-être pas le temps d'écouter ce disque et c'est bien dommage car il est fait pour toi. Enfin, rassure-toi, si tu es un crypto-hipster fan de zouk apocalyptique, que tu hurles quotidiennement ta haine d'une époque que tu ne comprend pas, et qui n'offre de toutes façons pas de place pour toi, ça te parlera aussi.

Dès l'introductif « Temps-mort », le ton est donné : Larsen, fureur et cavalcade noire. Et la cadence ne faiblira pas tout au long des dix titres pour autant de mandales. Malgré cela, les trois apôtres réussissent l'immense tour de force de rendre chaque minute passionnante, cela par une foisonnante richesse de plans, de breaks et de cassures vertébrales sans guérison possible. Car si les suisses sont réputés pour leur neutralité, Cortez lui part à l'assaut pour te mettre à genou, sans oublier de faire ça avec le sourire par la grâce cynique de quelques petites références disséminées ici et là, pour te rappeler que ce qui compte dans la castagne c'est de la mener avec style.

Parfois quand la lune est bien haute dans le ciel et que ma banlieue dort du sommeil des justes, je sors de ma tanière nu et recouvert de peintures bariolées pour aller courir après les étoiles, le casque sur les oreilles, dans une échappée sans merci vers une vérité qui se fait plus mystérieuse à chaque foulée me rapprochant d'elle. Phœbus en est la bande-son, chaque nuit recommencée. Alors si toi aussi ta quête est une folie, rejoins-nous.


« He came dancing across the water/With his galleons and guns/Looking for the new world/In that palace in the sun. » Neil Young, « Cortez the killer ». 

Nudisme et cannibalisme

19 novembre 2013

La Grande bouffe

Depuis un bout de temps, je voulais parler du maousse coffret live des Young Gods et je n'y arrivais pas. C'est ce qui arrive quand le groupe me tient à cœur plus que les autres, il est bien plus facile de dire du mal que du bien et encore plus difficile de dire l'affection profonde qu'on peut avoir pour un groupe. Puis, il y a quelques jours, et alors que j'attendais d'arriver à les voir sur scène depuis près de dix ans, j'ai assisté au concert du Nouveau Casino. Une attente plus que récompensée puisque cette grosse heure devant les suisses restera pour moi comme un des lives les plus marquants de ma jeune existence (oui, jeune, on se tait là-bas dans le fond).

L'occasion était donc toute trouvée pour parler de ses trois lives audio et vidéo réunis sur six disques. Parce que chez eux quand on fête ses vingt-cinq balais, on ne fait pas ça à moitié, on se fait plaisir et on offre un beau cadeau à tout le monde. Qui y a-t-il au menu de cette grande bouffe ? Un live tiré de la tournée Super Ready/Fragmenté, un autre avec un orchestre symphonique et la collaboration avec Dälek aux eurockéennes. Trois concerts donc et trois facettes du groupe, qui nous rappellent chacune à quel point les Young Gods sont une formation riche, alliant puissance, expérimentation et musicalité.

Le concert avec l'orchestre a été capté lors du festival de Montreux, leur musique y est alors sublimée par des arrangements de cordes qu'on croirait avoir toujours fait partie des morceaux. Toute la discographie de l'époque y passe (Everybody Knows est sorti juste après ce coffret) et chaque nouvelle version sublime l'originale.

Le live de la tournée Super Ready/Fragmenté est lui un concentré d'énergie brut, le son est énorme et l’électricité y est à l'honneur. C'est grâce à lui que j'ai pu m'habituer aux morceaux de l'album du même nom dans lesquels j'avais beaucoup de mal à rentrer. Les images du DVD sont superbes, la fougue live du trio y est à chaque instant palpable. Une bonne remise à l'heure des pendules (suisses, forcément) pour ceux qui pensaient que le groupe se ramollissait avec les années.

Les disques en collaborations avec Dälek sont plus difficiles d'accès, plus expérimentaux mais offrent une relecture passionnante du répertoire des deux groupes. La connexion est totale puisque des morceaux ont été composés à deux groupes spécialement pour cette création. Le DVD est captivant, en cela qu'il montre deux groupes fusionnant pour former une nouvelle entité, on voit l’interaction qui s'établit entre les musiciens, le côté Work in progress.

Pour moi, tout cela met en avant l'aspect hors normes et sans limite de ce qu'est la musique des Young Gods : une expérience qui va bien au-delà du son, vectrice de sensations et de voyages intérieurs. Trois ans après sa sortie, j'écoute encore ce coffret régulièrement, en le trouvant toujours aussi captivant et je n'imagine pas pouvoir m'en lasser tant j'aime à m'y plonger et à m'y perdre, encore et encore. Il y a du génie dans ces quelques heures de musique.


 "La modération est une chose fatale. "Assez" est mauvais comme un repas. "Trop" est bon comme un festin." Oscar Wilde.

Mets les petits plats dans les grands et sois cannibale.

4 novembre 2013

Knight Star

Ah Klaus Kinski en magicien ambigu et Harvey Keitel en soldat débile profond, les extra-terrestres que l'on prend pour des chevaliers chevauchants des dragons et les princesses complètement neuneus... Enfin, je m'égare... Quand le nom du post est celui d'un film bizarre, dont le héro porte un scaphandre, dessiné par un type très certainement viré par Paco Rabane pour trafic de drogues de synthèse, c'est que c'est l'heure de parler d'actu. Bah oui, parce qu'à force de répéter que c'est la rentrée, on est déjà en novembre et à force de dire "oui, oui ça se rafraichi", c'est bientôt noël.

Je ne vous parlerai pas du disque que j'offrirai à mon pire ennemi parce que je n'ai pas trop d'argent à foutre par les fenêtres et ici c'est un endroit où on dit du bien. Ou alors on ne dit rien. Je vais quand même vous dire quelques mots sur le dernier Red Fang, Whales and Leeches. Parce que, si comme beaucoup, j'adore ce groupe, leurs vidéos funs et leurs concerts (un des meilleurs groupes actuels sur une scène), que j'écoute encore régulièrement le précédent LP, le nouveau je ne sais pas encore trop quoi en penser, alors je l'écoute et j'essaye de me faire un avis... Qui vivra, verra.

Question facilité, claque directe et avis tranché, je peux par contre vous dire que le 10 pouces Gaffe de Pigs, sorti tout récemment par le label français Solar Flare, a tout bon du début à la fin. Trois titres pour trois réussites, un sans faute et un disque si addictif que j'attends déjà fébrilement la suite. Les quelques concerts donnés dans notre petit pays avec Sofy Major ont fait le reste. Suffocant.

Touche Amore nous offre un Lp toujours aussi concentré. En une petite demi heure, le groupe de Californie nous présente ce qu'il sait faire de mieux dans un disque au moins aussi bon que son prédécesseur. Intensité, émotion pour un disque simple, Hardcore et moderne. Que demander de plus ?

Comme les reformations pullulent, que de vieilles gloires sortent des nouveaux disques, Sebadoh ne manque, heureusement, pas à l'appel.  Disons-le tout de suite (et tout le monde le sait déjà) : Defend Yourself est incroyablement bon. Un disque terriblement riche, absolument pas enfermé dans la nostalgie 90's, des chansons tout bonnement géniales, qu'on aime réécouter, encore et encore. Du plaisir!

Quand Sonic Youth a splitté, le rock indé tirait la tronche. Et finalement, comme quand des parents divorcent leurs enfants ont deux fois plus de cadeaux, pour nous aussi c'est régulièrement deux fois noël. Il y a d'abord Body/Head, le duo formé par Bill Nace et Kim Gordon, dont le premier album Coming Appart n'en finit pas de tourner pour diffuser en continu ses atouts noise si attractifs. Et il y a le, déjà deuxième, LP post-Sonic Youth de Lee Ranaldo. Last night on earth est un disque magique, une collection de chansons classieuses qui donnent tout simplement envie d'écouter de la musique. Et ça, c'est franchement bien, non ?
  
"Tout l'automne à la fin n'est plus qu'une tisane froide." Francis Ponge. 

Fais bouillir de l'eau et sois cannibale

3 novembre 2013

Quiz Show

Nous sommes en 1979, les Talking Heads s’apprêtent à sortir, coup sur coup, leurs deux meilleurs albums : Fear of music et Remain in Light. Les hippies appartiennent maintenant à l'Histoire et le punk commence à sentir un peu le renfermé, alors pourquoi ne pas révolutionner tout ça, l'air de rien ?

Néons. Désormais, la musique des Talkings, aidés en cela par un certain Brian Eno, revêt des atours synthétiques. Les rythmiques sont répétitives, presque tribales, on vise la transe. Miracle de la modernité, synthétiques les drogues le sont aussi. L'atmosphère dansante qui règne sur ces disques, robotique comme du Krautrock décharné, cache en réalité des courants bien plus sombres et plus flippants.

Sirènes. En effet, c'est de paranoïa qu'est venu nous parler David Byrne, de la peur du monde, de la crainte de soi-même. Sur "Mind", il nous explique d'un air faussement détaché que rien ne pourra changer la donne, ni la religion ou l'argent, ni même la drogue. Aucune communication ne sera possible. Il ne reste plus alors qu'à danser, un sourire cynique figé sur des visages, comme des masques. Chaque chanson parle de ce manque, de cette absence, de ce qui disparait et de la crainte que cela soit définitif. Et Byrne nous raconte cela comme si rien, comme si cela faisait si longtemps qu'il avait déjà appris à s'en foutre.

Pilules. Fear of music se termine par une bien mauvaise descente : "Drugs". Tempo ralenti, vagues de synthés vaporeuses, tout ici crie et suinte l'angoisse. 5 minutes et 20 secondes de tension et d'horreur.. Plus dure est la chute.

"I don't know what they're talking about
The boys are worried, the girls are shocked
They pick the sound and let it drop
Nobody know what they're talking about"

Quand arrive Remain in light l'année suivante, plus rien à tenter, le mal est fait. Les années 80, dents longues sur sols brillants. La voix est plus fantomatique que jamais, la musique, glaciale et syncopée, sonne comme la bande son d'une sorte de rite païen qui verrait les anciens punks défiler dans les rues de New York. "Once In A Lifetime" Servira de hit parfait, une des premières chansons à parler de consumérisme de manière aussi sombre et frontale. 

"You may ask yourself, how do I work this?
You may ask yourself, where is that large automobile?
You may tell yourself, this is not my beautiful house
You may tell yourself, this is not my beautiful wife"

Soigne ta parano en devenant cannibale.