29 décembre 2016

Slacker, A top model for 2016

Avec amour mais dans le désordre :

-Aluk Todolo : Voix
-Swans : The Glowing Man
-Tortoise : The Catastrophist
-Cult of Luna/Julie Christmas : Mariner
-Rêche : Rêche
-Vektor : Terminal Redux
-Subrosa : For This We Fought The Battle of Ages
-Horseback : Dead Ringers
-Brain Tentacles : Brain Tentacles
-DIllinger Escape Plan : Dissociation
-Candiria : While They Were Sleeping
-Super Unison : Auto
-Venomous Concept : Kick Me Silly VCIII
-Gorguts : Pleiades Dust
-Mike and the Melvins : Three Men and a Baby
-Zhrine : Unortheta
-NOFX : First Ditch Effort
-Thalia Zedek Band : Eve
-Michel Cloup Duo : Ici et Là-bas
-Papier Tigre : The Screw
-Deathspell Omega : The Synarchy of Molten Bones
-Blut Aus Nord/Aevangelist : Codex Obscura Nomina
-Antaeus : Condemnation
-Bölzer : Hero
-Khemmis : Hunted
-Violent Magic Orchestra :Catastrophic Anonymous

Rééditions :

-White Zombie : It Came from NYC
-Blonde Redhead : Masculin-Féminin

Concerts :

-Aluk Todolo à l'église Saint Merry
-Clutch au Trianon
-David Gilmour au château de Chantilly
-Shellac à la Gaité Lyrique
-Tortoise à Villette Sonique
-Unsane à Main d'Oeuvre
-Subrosa à l'Espace B

Films :

-La Fille Inconnue
-Midnight Special
-Premier Contact
-Café Society
-Elle
-L'Avenir

3 décembre 2016

Il était une fois en Amérique

A-t-on besoin d'autre chose, à l'approche des fêtes de Noël, que de dope, de flingues et de faire des câlins dans la rue ? Aujourd'hui, nous parlons de Dope Guns 'N' Fucking In The Streets, la mythique série de 7 pouces d'Amphetamine Reptile Records, récemment rééditée sur un double CD rempli raz la gueule.

Pas moins de 47 groupes et autant de titres pour ce jalons des 90's, des noms aujourd'hui incontournables tels que Mudhoney, Melvins, Jesus Lizard, Today Is The Day, Helmet, Jawbox, Unsane et Chokebore. Des choses un peu moins connues mais tout aussi folles : Tar, Calvin Krime, Steelpolebathtub, etc. Ainsi compacté sur deux disques, on s'en rend compte que tout cela forme la crème du rock indé ricains (mais pas que) de la décennie fluo (oui, c'est un terme sociologique).

Tout à fait objectivement, "Basement Life" de Superchunk, "Lotion Pocket" de GodHeadSilo et "Fight Song" de Calvin Krime justifient à eux seuls l'intérêt de l'ensemble. Mais la totalité des groupes présents sont une photographie d'une certaine idée du rock indé, un peu noise et un peu fou fou. On passera sur le packaging de pingre, avec rien d'autre que la liste des morceaux (truffée d'erreurs) dans un boitier bien cheap car le plaisir d'avoir tous les volumes de la série dans un seul et même disque est une bonne alternative pour les collectionneurs fainéants.

Mets des disques sous le sapin et sois cannibale !

19 octobre 2016

Octupus Has no friends

Relapse semble à nouveau dans une période faste puisque les sorties de qualité se bousculent chez le label de Philadelphie. Pour preuve, le premier album de Brain Tentacles dont le nom est tellement classe que le disque s'appelle comme le groupe (ou bien est-ce l'inverse ? Mystère). Formé par David Witte le batteur (entre autres) de Municipal Waste, Bruce Lamont (le saxophoniste de tous vos groupes préférés) et Aaron Dallison de Keelhaul (et de plein d'autres trucs que je ne connais pas), Brain Tentacles creuse un tunnel sombre et obscur entre King Crimson et Zeus, en n'oubliant pas de faire un détour vers le jazz le plus free, le rock le plus noise avec, dans l'autoradio de la pelleteuse, le Zappa le plus écoutable et des musiques du monde. Ça fait beaucoup et pourtant.

Brain Tentacles c'est un peu comme si Zeus avait soigné son épilepsie en écoutant du jazz New Orleans ou, plus simplement, comme si par enchantement, Zu devenait d'un coup bien plus accessible. Car si on ne peut pas encore parler ici de musique formatée, Brain Tentacles ne demande pas trop de se creuser la cervelle pour rentrer dans son univers, le disque, plutôt court, ne demande pas un effort surhumain pour apprécier ces folles complaintes en forme de montagnes russes. Pourtant, cette musique est cinglée, c'est un fait. Mais ce qui semble ici prévaloir c'est le fun, le plaisir de faire du bruit et il est étonnamment communicatif, surtout pour un disque de ce genre.

De "Kingda Ka" et "Fruitcake" qui sonnent comme une rencontre d'une nuit entre du noise rock et le Klezmer vu par John Zorn à des choses plus posées comme "Fata Morgana" (pensez Bloodiest, toujours Bruce Lamont), la galette se permet de se balader sur un spectre bien plus large qu'on ne s'y attend au premier abord et tape souvent juste. "Cosmic Warriors Girth Curse" est un des sommets de l'album, tour à tour lourd et planant, comme un voyage spatial mais en rouleau compresseur. Une fois le disque passé, on n'aura finalement vécu autant de choses que chez Zeus et Zu mais en ayant tout de même moins la sensation d'avoir été ballotté n'importe comment de façon gratuite. Pour terminer, quelques mots sur la pochette, franchement classe, qui a la présence d'esprit de réunir tout ce que j'aime voir sur un disque, des navires, des monstres marins et des cerveaux. Pourquoi se compliquer la vie.

"Et sous la peur, la superstition, obsédante et troublante, étendait ses tentacules." Enrique Serpa, Contrebande.

Malaxe tes méninges et sois cannibales.


8 octobre 2016

Légendes d'automne

Au moment étrange et douloureux de dire adieu à l’été, au soleil et aux heures passées en terrasse ou dans des jardins chauds, quand sonne la rentrée et l’arrivée inexorable du froid et de l’automne, quoi de mieux qu’écouter du bruit, de la musique sérielle, concrète ou acousmatique ? Plongeons nous alors dans la phénoménale et incroyablement riche compilation An Anthology of Noise & Electronic Music, offerte à nos oreilles par le généreux label belge Sub Rosa entre 2002 et 2013.

Pas moins de sept volumes répartis chacun sur deux disques (trois pour le septième) et un classement complètement foutraque puisque revendiqué comme étant a-chronologique. 176 morceaux pour autant d’artistes, chercheurs, groupes et exploreurs des limites du son les plus brutes et expérimentales pour une période explorée allant de 1920 à 2012. Ajoutons à cela des livrets épais, remplis de notes et d’extraits d’interviews et nous voilà en présence d’une des compilations les plus riches et variées sur ce vaste sujet qu’est la musique quand elle se débarrasse totalement de ses oripeaux commerciaux et populaires.

Effectivement, il ne pourra pas être question ici de danses ou de ritournelles, à tout le moins la recherche sonore ici fêtée pourra être pour vous l’illustration parfaite à la rêverie, au sommeil agité ou à peupler vos longues nuits d’automne de bruits supraterrestres et de complaintes toutes droit sorties des arcanes de machines folles. Tous les noms connus sont présents : Pierre Schaeffer, Einsturzende Neubaten, John cage, Sonic Youth, Cabaret Voltaire, Henry Cow, Daniel Menche, Steve Reich, Olivier Messiaen, etc. ainsi que beaucoup d’autres. La plupart des pièces présentées ici sont rares, introuvables ou inédites et le voyage, d’un saut dans le temps à un autre, est riche en découvertes, entre sonates atonales, bruits blancs, techno désossée et trips cosmiques. Paroles est ici donnée, toujours dans le désordre, à toutes les écoles et tous les genres que la musique expérimentale compte en son sein. On ne peut que s’y perdre pour y revenir et lentement, s’y faire une petite place, fort des connaissances ici archivées, aussi bordéliques soient-elles. Il est tout de même recommandé de se laisser porter et d’être prêts à la surprise, car elle est ici la seule norme.


« Quand un bruit vous ennuie, écoutez-le. » John Cage.

Et s'il était agréable le bruit de l'automne ? Sois Cannibale. 

3 octobre 2016

Le Monde aveugle

Cela fait bien trop longtemps que je n’aie pas parlé de screamo. On répare ça tout de suite avec la démo de Rêche, un groupe allemand qu’il est bon.
Du haut de ces six titres, Rêche nous contemple et nous assène un screamo teinté d’emoviolence d’une trempe telle que je ne me souviens plus de la dernière fois qu’un groupe du genre m’a fait à ce point tourner la tête. La démo se déroule sans temps mort, simplement entrecoupée d’extraits de films forts à propos et dans la grande tradition. Les six compos filent sans qu’on ne s’ennuie un seul instant et ont la grâce des morceaux qui marquent.
On connait le piège de l’emoviolence qui peut facilement tomber dans le vide du mur sonore sans attrait, de la platitude creusant l’ennui. Rêche évite cet écueil en beauté et nous livre une démo transpirant le travail bien fait, la passion suintant par tous les bords de la bande enregistrée. Encore, vite !
« Est-elle mieux la vie sans yeux ? » La Vie sans yeux, Rêche.

Les Années

En ce mois d’avril mouvementé, Michel Cloup Duo sort son troisième LP, Ici et Là-bas. Je me précipite pour en dire du bien, tant je suis surpris par le bond effectué depuis Minuit dans tes bras.
J’aimerais, pour une fois, ne pas parler de chaque morceau individuellement et laisser la joie de leur découverte intacte, car chacun d’eux la mérite amplement.
Il faudrait dire d’abord que ce disque est plus long, plus varié, synthétisant les deux premiers tout en ouvrant une fenêtre gigantesque sur des choses nouvelles. Michel Cloup détruit ici les murs de son propre terrain de jeu pour nous le présenter à nouveau, plus vaste mais jamais dénaturé. Au-delà de cette réussite, il y a le plaisir simple et chaque fois renouvelé de découvrir un album qui s’adresse directement à ce qu’il y a de plus intime en nous-même.
nous parle de notre époque, de ces désillusions, allant de l’intime à l’universel, illustrant de manière magistrale qu’il n’y a jamais d’individu sans collectif. Ici, on pense beaucoup à ce qu’il y avait de meilleur dans Expérience, cette conscience humaine forte, osons même le dire, politique, ne tombant jamais dans le moralisme et le slogan vide. La politique est ici entendue comme le simple fait de se connaître comme membre d’un tout, d’une famille, d’une ville, d’un pays – mais, encore une fois, en allant plus loin, en gardant ce que la musique de ces deux disques déjà sortis sous son propre nom possède de douceur, de souffle intérieur. Il y a chez Michel Cloup une grâce dans l’écriture, si forte qu’il réussit à tout nous dire en restant pudique.
Comme pour les albums précédents, on plonge dans ce disque comme dans un cocon où l’on aime à se réfugier. La grande nouveauté est qu’il est tourné vers l’extérieur, les autres et notre conscience collective. Comme chez Annie Ernaux, plus que jamais on se retrouve dans une histoire qui n’est qu’à lui et qui nous appartient aussi à tous, parlant du « je » pour le « nous ». Jamais un disque de Michel Cloup n’avait réussi cela de manière si définitive.
On aura attendu longtemps ceux qui allaient taper fort dans la fourmilière du rock en français et, avec ce troisième album du Michel Cloup Duo, on se demande comment la majorité peut être si sourde. On a tant parlé de Diabologum, sûrement à raison, mais vingt ans plus tard, Michel Cloup sort toujours des disques, et quels disques !

Mon âme par toi guérie

Il y a un peu plus de quarante ans, Leonard Cohen sortait une poignée de disques immortels, capables de traverser les abîmes du temps pour venir titiller le cœur de ceux pour qui la musique reste une expérience à part. Ils s’appellent Songs of Leonard Cohen, Songs of Love & Hate et New Skins for the Old Ceremony, ce sont des sortes de phares, des points d’ancrage, des balises qui vous rassurent, vous disant à l’oreille que vous ne serez plus jamais seuls.
Trois albums pour à peine trente chansons, mais de celles qui résonnent n’importe où avec la même force. Dans le dernier film de Nani Moretti, une des premières scènes se déroule au son de « Famous Blue Raincoat » qui vous enfonce dans votre siège pour comme pour mieux vous y installer. Cette chanson est une des nombreuses clés qui ouvrent la porte aux mots de Leonard Cohen, à sa musique parfois si délicate qu’il faut savoir tendre l’oreille pour être capable de réellement écouter. Elle est de la trempe de ces chansons rares, universelles et mystérieuses, qui à chaque écoute vous nourrissent d’une émotion brute, d’une chose qui va bien au-delà de quelques mots sur de la musique. Elle est un voyage intime, un recueillement.
« Who By Fire », « Joan of Arc », « Leaving Green sleeves », la liste pourrait continuer, sont aussi de ces chansons qu’on se doit d’écouter en ne faisant rien d’autre ; il suffit de s’assoir, elles feront le reste. Elles nous transportent dans ce lieu intime, tour à tour froid ou chaleureux, que nous avons tous en nous, là où réside nos espoirs et nos craintes. Elles sont presque nues, sans aucun artifice, mais possèdent la grâce qui fait la poésie avec de simples mots et le savoir-faire mystérieux qui fait l’art avec des outils communs.
Certaines de ces chansons deviennent, avec les jours, avec la vie qui passe, de chauds manteaux dont on habille son âme contre la rigueur de l’hiver, contre l’âpreté du temps. Tout ici, par la grâce d’une voix et de quelques mots posés sur une guitare, réussit l’intense miracle de sublimer le parcours du son dans votre organisme pour parler directement à vos cinq sens, les réveiller et les soigner. Ces chansons-là ne sont pas une drogue mais bien le meilleur des médicaments, de ceux qui redonnent envie de croire. La musique de Leonard Cohen nous parle de ce qui nous traverse le soir, juste avant le sommeil, quand on se sait vivant, plein de nos blessures et de ce qui fait l’envie d’être au monde. Pour cela et pour sa beauté, elle est précieuse comme un livre qu’on voudrait toujours garder auprès de soi.
« And what can I tell you my brother, my killer
What can I possibly say?
I guess that I miss you, I guess I forgive you
I'm glad you stood in my way. »

Ferme les yeux, écoute et sois cannibale.

La Foire des ténèbres

Mieux vaut tard que jamais, un top 2015 pour dire au revoir à une année qu'on a été plutôt content de quitter. Des disques définitifs (Goatsnake), des bons qualitatifs qui frisent la perfection (Sofy Major) et des découvertes qui ne cessent pas de revenir nous hanter (Big Brave).
-Goatsnake : Black Age Blues.
-Steve Von Till : A Life Unto Itself.
-Battles : La Di Da DI.
-Clutch : Psychic Warfare.
-Zombi : Shape Shift.
-Faith No More : Sol Invictus.
-Lou Barlow : Brace The Wave. 
-Built To Spill : Untethered Moon.
-Glaciation : Sur Les Falaises de marbre.
-Oneohtrix Point Never : Garden Of Delete.
-The Saddest Landscape : Darkness Forgives.
-Sofy Major : Waste.
-Big Brave : Au De La.
-All Them Witches : Dying Surfer Meets His Maker.
-Sed Non Satiata/Carrion Spring : Split.

Peur sur la ville

« Écrire moins pour lire plus » est ma nouvelle excuse pour peu publier. Il y a aussi des choses qui se passent, d’autres qui évoluent et le temps qui file toujours trop vite. Et puis, un livre donne envie de s’y remettre, d’en parler. Aujourd’hui, ils sont même deux. L’Alignement des équinoxes de Sébastien Raizer et Sauvagerie de Matthew Stokoe. Deux Série Noire, deux polars poisseux, un français, un américain mais deux conceptions bien différentes du roman noir.
L’Alignement des équinoxes est le premier tome d’une trilogie de Sébastien Raizer, l’homme qui se cache derrière les éditions Camions Blancs, excusez du peu. En apparence, l’équation est simple, des flics, un tueur en série aussi spécial que vraiment allumé et des illuminés, partout. En apparence seulement, car nous sommes ici bien loin du simple polar. L’intrigue se noue autour d’un binôme de flics, Wolf, montagne de muscles et passé de mercenaire, et Silver, asiatique toute en froideur. Ils se retrouvent avec le cadavre d’un type coupé en deux, le coupable est déjà connu, c’est une fille, elle est présente quand le corps est découvert, elle est étrangement calme. S’en suivent quelques 500 pages dans lesquelles Paris devient le terrain de jeu d’un tueur aussi fou que méticuleux, sur fond de philosophie samouraï, d’extrémisme en tous genres et de folie. On comprend vite qu’on est devant quelque chose d’hors normes, un polar bis, violent, ultra structuré et très cultivé. Vous en voulez plus ?
Sauvagerie est le troisième roman de Matthew Stokoe à paraître en Série Noire. Après l’exploration de perversions en tous genres dans La Belle Vie et le portrait d’une famille détruite par un drame dans Empty Mile, Matthew Stokoe continue de nous servir en pleine face la noirceur occidentale quotidienne et sale. Un scénariste raté ne se remet pas de la mort non élucidée de sa sœur avec qui il entretenait une relation incestueuse. Il trouve un scénario qui pourrait l’aider à comprendre ce qui lui est arrivée mais qui charrie également un tas de crasses toujours fumant. Avec d’autres désaxés, un toxico, une cinéaste tête brûlée et un journaliste alcoolique, il va menait l’enquête dans un Los Angeles où tout semble possible quand on a de l’argent et de quoi se planquer. Sauvagerie est court, se lit pied au plancher, halluciné devant tant d’horreur. Stokoe y réussit à nous faire aimer des personnages cassés, sans moral parce paumés, évoluant dans un environnement cradingue et déshumanisé. On s’attache à ces âmes errantes, abîmées par la vie et pour lesquelles on se prend très vite à espérer une rédemption. L’auteur prouve encore son talent pour donner à voir de vrais personnages, profonds et ambigus, au milieu d’un déchainement de violence qui ne sonne jamais gratuit car d’un réalise glaçant. Encore un Stokoe parfait, qui nous fait nous demander s’il ne serait pas le meilleur auteur américain de polars ?
Série Noire, nuit blanche, cannibalisme.

The Network

Nous sommes en 2084, la gauche caviar radicale gouverne la planète d'une main molle et poisseuse et The Fall sort Sub-Lingual Tablet, son trois millième album. Et c'est un tour de force parce que Mark E Smith commence à être vieux, très vieux. Mais que voulez-vous, on ne change pas, il a encore la haine qui lui chatouille affectueusement la langue.
Bon, soyons raisonnable puisqu'en réalité The Fall n'en est, seulement, qu'à trente disques studio et des poussières, une petite discographie tout ce qu'il y a de plus modeste. Généralement, quand on se retrouve devant un groupe aussi productif, on finit par être devant une oeuvre dans laquelle il y a à boire et à manger. The Fall est clairement de ceux-là, semant ici et là des albums oubliables ou clairement chiants, mais l'histoire nous a montré qu'il fallait guetter chacune de ses sorties, n'étant jamais à l'abri d'une très bonne surprise. Et profitons, mes frères, car le dernier prêche est de haute tenue.
"Dedication Not Medication" déboule avec sa grosse basse hypnotique et ses zébrures (ouais, des zébrures) de synthés noise, puis la voix du petit Smith vient nous punir de son fiel. Nous sommes en 2015 et le Post-punk le plus jouissif est bel et bien vivant. Une fois qu'on sait ça, la bande à Smith peut faire ce qu'elle veut, nous sommes déjà conquis. "Junger Cloth" ne peut que convaincre avec ses deux batteries, cet orgue gentiment anachronique et l'apparition d'une sorte de batucada (oui, t'as bien lu) quand la voix fait son apparition. The Fall concasse du Zouk pour mieux créer la transe. Mark E Smith a tous les droits, il les a gagné en trois décennies de refus des concessions.
"Auto Chip 2014-2016" est le gros morceau de l'album, dix minutes de répétition malmenées par la guitare et la voix qui serpentent dans un dédale Kraut. Sont-ils nombreux les vieux briscards de la fin des 70s a être encore dans le cortège de tête d'un Post-punk qui ose tout ? Un morceau à écouter très fort en chassant les araignées qu'on a tous au plafond.
"Fibre Book Troll" est ma petite préférée, elle est dansante et noise, fourmille de sons. Elle ne cesse de monter jusqu'à ce que Smith vienne la salir un peu plus de sa voix au papier de verre. Le reste de l'album est à l'avenant, répétitif et fou, fielleux, jamais ennuyeux. Au bout de près de quarante ans d’assauts soniques, réussir à nous emballer de la sorte est un exploit, le talent en définitive, rien que ça.
"N'attendez pas le jugement dernier. Il a lieu tous les jours." Albert Camus, La Chute.
Mets la pilule sous ta langue et sois cannibale.

Rectify

Étonnement, il aura fallu une série pour sortir Le Mange-disque cannibale de sa torpeur. Je m'excuse d'ailleurs platement auprès des deux personnes qui ne peuvent pas vivre sans  le Mange-disque, l'attente a été difficile et la cellule psychologique a coûté cher mais cela en valait la peine. Il fallait donc absolument que je revienne pour vous parler de Rectify, tout simplement la meilleure série de tous les temps et, comme toujours, je pèse mes mots.
Rectify, c'est l'histoire d'un type que vous allez à aimer, qui va vous toucher comme peu de héros de série ont pu le faire. Daniel Holden s'approche de la quarantaine, il vient de sortir de prison après une vingtaine d'années passées dans les couloirs de la mort. A 18 ans, il a été condamné à mort pour le viol et le meurtre d'une jeune fille. Il sort mais n'est pas tout à fait innocenté. Son retour dans la ville de son enfance, une bonne vieille bourgade ricaine remplie de cons, ne plait définitivement pas à tout le monde. Il y retrouve sa famille qui s'est battue pendant son absence pour le faire libérer. Il y retrouve aussi sa bande d'amis de l'époque, tous présents le soir du meurtre. Ambiance, nœuds narratifs, nous sommes prêts à nous laisser plonger dans une histoire aussi belle que compliquée.
Daniel Holden est donc encore une sorte d'enfant quand il sort de prison, le monde a changé pendant son absence et même si il a l'aspect extérieur d'un adulte d'une certaine maturité, ses réactions face à son environnement sont celles de quelqu'un qui découvre tout après avoir passé vingt ans dans une boite. Une des grandes forces de la série réside dans la manière particulière qui est la sienne de nous montrer comment Daniel se confronte au monde. De le voir tenter de redevenir quelqu'un, une personne à part entière avec un champs de vision sans mur ni barreau, est une chose terriblement forte et qui, tout au long des trois saisons de la série, porte l'histoire en lui donnant un ton dramatique à fleur de peau. Daniel Holden est filmé comme un mystique qui sort de deux décennies loin du monde, chaque petit détail du quotidien est alors pour lui autant une bénédiction qu'une blessure qu'il accueille avec une sensibilité exacerbée.
Au-delà de ça, la série nous parle de comment un groupe de personnes réagit face à l'intrus, à la différence et à un drame qui a secoué leur petite ville de façon frontale. Son autre grande réussite réside dans des dialogues et une mise en scène très dépouillés, qui collent aux failles de chacun de ses personnages. Il y a dans Rectify les scènes de disputes les plus poignantes que vous pourriez voir dans une série et, malgré ça, elles sont d'une justesse qui fait trembler. L'économie de mots y fait penser aux nouvelles de Raymond Carver, tant ceux qui ne sont jamais prononcés sont présents derrières les corps, les fait peser et nourrissent la tension dramatique d'une façon aussi belle que terriblement dure et difficile.
Avec tout cela, Rectify devient une série un peu hors normes, qui avance très doucement et ne se prive jamais de nous questionner et de nous mettre mal à l'aise. Daniel Holden est un héros aussi attachant qu'il peut être dérangeant et, à travers lui, la série nous parle de liberté, des difficultés et du poids du groupe, de la faiblesse de la justice et de toutes ces petites choses qui sont autour de nous, qu'on ne regarde plus et qui sont pourtant la preuve du simple fait que nous sommes vivants. La meilleur série de tous les temps, je vous dis.
Profite de la fin de l'été et sois cannibale.

C'était demain

Retour aux affaires après une période sans internet pour cause de déménagement (j'ai toujours de très bonnes excuses (comment ça tu t'en fous ?!)). On parlera aujourd'hui de Untethered Moon, le dernier né de la famille Built To Spill (comment ça "encore Built To Spill" ? C'est le meilleur groupe du monde alors tu vas en bouffer jusqu'à ce que j'ai parlé de toute la discographie... Enfin si j'ai le courage). Bébé est sorti de la maternité fin avril et je peux déjà te dire qu'il se porte comme un charme.
Six ans déjà que le groupe n'avait rien pondu, on pouvait se poser des questions, avoir des craintes, surtout que There is No Enemy, son frère le plus proche, est un de leurs disques qui me parlent le moins. Et là, bim, dès le début de l'album, on a vraiment de quoi être rassuré. Voir même comblé. "All Our Songs" sonnent comme ce qu'on pouvait attendre de meilleur de la part de la famille de l'Idaho (rien à voir avec Etienne) et ce n'est que le début. "Living Zoo" et "Never Be The Same", les deux morceaux dispos sur le net depuis quelques mois me semblent déjà être des classiques. Il font parties de ce que je mettrais dans une compil Built To Spill qu'on pourrait écouter, allongés dans un jardin, buvant des planteurs entre gens de bonne compagnie. Mais je m'égare.
"On The Way" est de facture classique mais assez énergique grâce à son refrain qui donne envie de sourire et c'est tout ce qu'on demande. "Some Other Song" est le genre de chanson que Neil Young aimerait être encore capable de composer, sale et pop, avec un refrain qui chaque fois vous dresse les poils. On est déjà à la moitié du disque et rien à jeter, que du bon, on retrouve un BTS (ahah, BTS) au sommet de son talent. "C.R.E.B" est rigolote avec ses gimmicks de grattes oscillant entre surf et dub (!). "Another Day" a un petit côté rentre-dedans qui fait bien plaisir et devient de plus en plus passionnante à mesure qu'elle se développe. "Horizon To Cliff", c'est la balade de l'album, le morceau pour emballer, le truc qui te fait penser à la fille qui te fait tourner la tête, un morceau sympa mais pas foufou. Si il faut trouver un titre un peu en dessous, ce sera celui-ci. "So" déboule pour te rappeler pourquoi tu adore ce disque, du BTS pur essence, mélodique, chiadé, sale et addictif. Un des titres que j'aime écouter deux fois de suite. Le disque se termine de la plus belle des façons par "When I'm Blind", huit minutes trente de bonheur brut, de solos magiques, un chanson parfaite, versatile, on redemande.
Merde, c'est déjà fini... Mais on a là largement de quoi attendre la suite pendant six longues années. En plus, y a des chats sur la pochette, que demander de plus ?
"De deux choses lune l'autre, c'est le soleil." Prévert
Sors attraper le soleil et sois cannibale !

Everything Will Be Fine

Alors que le nouveau skeud de Built To Spill vient de sortir, quoi de mieux et de plus logique que de parler de You In Reverse, antépénultième album sorti il y a déjà neuf ans ?  L'explication est simple : en attendant fébrilement la sortie du petit nouveau, j'avais besoin de ma dose et c'est You In Reverse qui a su mieux que les autres me la donner. Flash-back !
"Goin' Against Your Mind" fait démarrer cet album de la plus belle façon qui soit, ce titre est gentiment osé avec ses presque neuf minutes et sa batterie gentiment répétitive. Et déjà dans chaque coin, projetées partout sur les murs, des mélodies qui accrochent et cette énergie si reconnaissable. Surtout, il y a cette voix, qui rappelle Neil Young, ce timbre qui plane et fait décoller chaque morceau. Ouvrir un disque par un long morceau n'est pas chose aisé mais ici, tout est tellement bien à sa place, que le morceau file en un éclair et c'est déjà la suite.
"Liar" et son intro sépulcrale. Le titre folk-pop parfait ! Les arpèges magiques et la batterie discrète mais enjouée et cette mélancolie qui transpire dans chaque note. Savoir pondre une pop song entêtante est une chose, mais en faire un morceau qui regarde crânement le temps défiler, qu'on ne peut pas dater, en est une autre. "Liar" a quelques-chose d'universelle, un peu comme certaines chansons des Beatles. J'oserai même dire en mieux que les quatre british, au risque de m'attirer quelques foudres.
"Wherever You Go". La chanson dont je n'arrive pas à me lasser. Dès son début, avec ce riff (qui encore une fois peut faire penser au Crazy Horse de Neil Young) et cette batterie qui ne demande qu'à commencer les choses sérieuses, nous sommes happés. Putain, cette mélodie qui tourne, quel talent de compo ! Une nouvelle fois, Built To Spill sublime un morceau long avec Grace. Et à la fin, ce solo. Écoutez-le, je ne saurai pas vous en parler. Si il n'y avait que ce titre, You In Reverse serait déjà mon album favori des cinq de l'Idaho.
Un autre grand moment de ce LP est "Gone", encore un long morceau, le plus aérien. Une guitare plus bavarde que jamais qui survole le titre de ses longues phrases habitées couplée à une structure presque prog (ouais, carrément). Et ce clavier qui apparaît comme par magie. La chanson monte jusqu'à son dernier tiers pour se défaire lentement. Et voilà, tout simplement, nous n'avons pas besoin d'autre chose.
Vous aurez compris, cet album est incroyable, une trempe de classique, un truc qui restera toujours, un disque qu'on use, inlassablement. Et si je vous disais que le petit nouveau, Untethered Moon, n'a franchement pas à rougir à côté de son ainé ? Vous y croiriez ?
"Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté." René Char.
Fais de la place pour la beauté et sois cannibale !

Mistery Train

Il arrive parfois que l'actualité perde de son attrait et devienne une sorte de boulet qu'on se traîne, dont on s'aperçoit qu'il est finalement facile de se débarrasser. Il faut simplement pour cela tomber sur un vieux disque, un truc qui se suffit à lui-même. C'est un peu un truc de vieux con, surtout quand le disque en question est un album de Folk du milieu des années 80 (!). En 86, Billy Bragg sortait Talking With The Taxman About Poetry. Viens, tu vas adorer (mais si, mais si) !
Dès le début du disque, va falloir que tu t'habitues, c'est les années 80. Il faut faire un petit effort pour s'adapter au son de guitare, qui est très loin du folk à grand-père. Il y a beaucoup d'écho, on pourrait croire qu'on écoute un morceau caché sur un des derniers disques du Clash et ce n'est vraiment pas un compliment. Mais dès le premier morceau, "Greetings to the new brunette", on sait que quelque-chose d'incroyable va nous arriver. C'est une petite chanson d'amour toute bête, mais elle parle déjà de politique, parce que Billy Bragg c'est ça, une sorte de working-class hero qui, de sa voix abîmée d'irlandais, te raconte des histoires de jolies filles et de révolutions.
Si l'album sonne daté, au premier abord d'une façon plutôt négative, quand on entre dans le vif du sujet avec "Marriage" et surtout "Ideology", ce côté un peu kitsch de la production devient la clé d'un voyage et sert totalement la poétique du propos. Nous sommes ici très loin de chez nous, de la musique qu'on écoute ou réécoute en 2015, très loin de la mode d'un Folk si authentique à tout prix qu'il en devient caricatural. Ce côté loin de tout de Talking With The Taxman... en fait un disque passionnant, de ceux qu'on aime à écouter tout bas avant de dormir, parce qu'il possède ce côté autre qui caractérise les rêves.
Enfin, il y a ces chansons, modestes protest songs qui parlent d'unité, d'amour et de révolte, ces arrangements de cordes et ces mélodies qui caressent l'oreille pour ne plus jamais vouloir en sortir. "There is power in a union" donne envie de crier le poing levé, alors que "The passion" et son magnifique texte est de ces chansons qui vous collent à l'âme pour longtemps. La grande réussite du disque est aussi d'être passionnant de bouts en bouts, une chose souvent ardue pour un disque Folk, par la grâce de ces chansons, fortes, arrangées avec soin et toujours magnifiées par des textes intelligents.
Il n'est alors aucun besoin de faire la liste des grands titres qui jalonnent l'album, il suffit juste de parler de "Train train", le seul qui fatigue vite sans être véritablement mauvais. On est alors définitivement conquis par ce disque, qui nous fait chanter fort, la pinte à la main, nous fait réfléchir et nourris cette mélancolie propre aux vieilles protest songs. Un disque finalement totalement intemporel.
"And sometimes it takes
A grown man a long time to learn
Just what it would take
A child a night to learn" "The Passion"
Parle poésie avec ton banquier et sois cannibale.

La Nausée

A la rentré de septembre 2014 sortait le troisième album de La CanailleLa Nausée. Il m'en aura fallu du temps pour véritablement me faire une place confortable dans ce disque, pour m'y sentir chez moi et finir par y inviter mes potes. La faute à pas de chance, à une rentrée musicalement chargée en trucs cool mais surtout à un disque différent des deux précédents et cela de bien des façons.
Oui, j'ai eu un sentiment bizarre la première fois que j'ai jeté une oreille (bêtement distraite) sur ce disque, il paraissait trop loin des précédents, plus rap dans les instrus, moins varié, plus linéaire dans le chant. Je dis des conneries, hein, ne t'en va pas. Et comme un con qui aime se faire son petit avis trop vite, parce que tout va trop vite, je ne comprenais pas pourquoi j'y revenais souvent, d'abord sur deux ou trois morceaux puis carrément sur ceux que j'avais d'abord jugé ratés ("Pornoland", on y reviendra). Et puis, un jour est arrivé où la liste des titres qui faisaient l'unanimité entre mes deux oreilles est devenu plus conséquente que l'autre, celle où se trouve "Décalé".
Je n'arrive pas à apprécier ce titre, pourtant j'essaye, j'y reviens, je le laisse tranquille pour y retourner mais rien n'y fait. Enfin, un truc un peu en dessous sur un skeud, on va pas crier au scandale non plus. Surtout que le reste du disque, même si il faut le laisser venir (tu l'aura compris) s'avère au fil des écoute aussi addictif que jouissif et plein d'autres mots en -If. "Pornoland" est aussi difficile à aimer, la faute à des samples qui desservent un peu le propos, mais le texte fort de cette chanson fini par emporter l'adhésion.
Pour le reste, sur des titres comme "Redéfinition", "Jamais nationale", "Encore un peu" ou "Desséchée", La Canaille nous parle de sujets parfois très peu traités dans le rap français et le fait si bien, avec sa langue maintenant si reconnaissable, qu'on ne peut que se laisser emporter dans ce disque pas tout à fait comme les autres. "Décalé" nous dit-il, c'est exactement ça. Puis il y a "Monsieur Madame", un véritable conte des temps modernes, porté par un flow aussi posé qu'efficace et dont la conclusion est une petite merveille, aussi grinçante pour ceux dont elle parle qu'elle est pour nous jubilatoire.
De toute façon, un disque qui se termine par un extrait d'interview du grand Jacques, qui nous parle de bêtise et sert de conclusion, ne pouvait être qu'un truc qui colle aux oreilles, qu'on réécoute, souvent, qu'on aime à faire découvrir et surtout qui aime à nous malmener pour nous conduire là où on ne va pas souvent. Dans ce petit espace dans lequel les discussions fusent et les avis sont aussi tranchés que passionnés. Qu'un album de rap français (enfin au sens large, t'as compris) nous fasse encore ce cadeau, certains pessimistes n'y croyaient plus. Du tout bon.

Évite la bêtise, sois cannibale.

All is lost

Y a des périodes comme ça où écouter de la musique devient terriblement routinier. On écoute quelques classiques, on se tient au courant de l'actualité d'une oreille distraite, parfois on fait une découverte sympa en disant "ah ouais, ça c'est sympa, c'est quoi ?" Mais finalement, sans s'en rendre véritablement compte, on est blasé. La faute à la surdose, à la musique trop facilement accessible, perdant si on n'y prend pas garde une grande partie de son sens. Et puis au détours d'une super cool émission de radio (Panopticon sur une radio mancelle, oui madame), on découvre Douche Froide et on se souvient très vite de pourquoi on écoute autant de musique, partout, tout le temps.
Depuis une semaine, c'est simple j'écoute ce petit Lp de sept titres en boucle. Douche froide, c'est du punk en français mais ça ne se réduit pas à ça, loin de là. D'abord, c'est la magie d'une voix féminine et de textes loin des clichés du genre, des textes qui te dresse les poils, qui te questionnent et qui sont une des trois cents raison qui vont te rendre accro. C'est une musique simple et brute, qui te rentre dans la tête si vite que tu n'as pas le temps de te rendre compte que tu es contaminé, pauvre fou que tu es !
On pense ici à La Fraction et Dix petits indiens, pour le chant féminin en français, mais il serait injuste et simpliste de réduire Douche Froide à du punk franchouillard avec une nana au chant. Le son tient plus ici d'une sorte de post-punk des débuts et les textes ne peuvent pas véritablement être qualifiés de revendicatifs même si, comme chez La Fraction, il s'en dégage une sorte de rage libertaire. Mais la forme est ici bien plus poétique et nuancée.
Comme cela faisait longtemps qu'un disque chanté en français n'avait pas si facilement emporté mon adhésion ! Et longtemps aussi qu'un disque ne m'avait pas rendu si dépendant à ma paire d'enceintes ! En ce relativement morne début d'année musicale, Douche Froide tombe à pic pour te rappeler comme il est bon d'écouter des chansons en en lisant les textes en même temps, comme cela peut être bien de mettre un disque, de ne rien faire d'autre et de se mettre à rêver. C'était simplement ça qu'on attendait.
"Même si tu détresses ton cœur brin par brin, mon plus doux fourreau, je n’aurai pas besoin de tenir mon couteau." "Lame", Douche Froide.
Arrête tout ce que tu es en train de faire, écoute Douche Froide et sois cannibale !

Santa Sangre

2015 égraine l'air de rien ses journées comme un géant enfilant des perles chronophages, le temps passe vite dans l'atmosphère glacée de cette fin janvier. Il y a quelques mois sortait le dernier album de Blut Aus Nord, le troisième volet de Memoria VetustaSaturnian Poetry. Il ne sera pas question ici de faire une description titre par titre mais simplement, de livrer quelques impressions et donner envie à ceux qui n'ont pas encore écouté, les fous, cet immense disque.
Après une trilogie 777 aussi intense que froide mais parfois décriée comme l'oeuvre d'un groupe commençant à tourner en rond, Blut Aus Nord revient à un Black Metal moins expérimental et industriel en offrant une suite à un cycle commencé il y a maintenant dix-neuf ans. Et quelle suite ! Tout ici va plus loin que dans les deux premiers volumes, offrant une musique aussi complexe qu'aérienne et dont le résultat est un disque dans lequel on se plonge avec délice et admiration pour ses lieux qu'il fait naître en nous, par la grâce d'un black metal versatile et dense, tellurique.
Ce disque immense, dépassant tout ce qu'on pouvait attendre de Blut Aus Nord, allant plus loin qu'aucun autre de ses albums et transcendant le genre auquel on le rattache, est une porte autant qu'un abîme, une clé autant qu'un verrou sur l'oeuvre déjà si riche d'un groupe qui avance à chaque album pour dépasser ses propres sommets.
Sont-ils si nombreux les disques qui savent nous enlever de notre environnement et nous déposséder de nos préoccupations pour nous faire voyager ailleurs, dans le temps et l'espace ? Certes non, et si Saturnian Poetry est de ceux-là, il va plus loin encore, en redéfinissant (une nouvelle fois) les codes du Black Metal et en offrant un disque finalement accessible, aux dimensions universelles. Au final, on tient un disque dont on n'a pas fini de découvrir les subtilités, dans lequel il est si agréable de se laisser tomber, encore et toujours, pour mieux l'apprendre et découvrir qu'on ne le connaîtra jamais tout à fait.
Encore une sortie soignée du fantastique label Debemur Morti (Dirge, Year Of No Light...).
Réchauffe toi par la douce méthode Cannibale !

A Most Violent Year

Le troisième film de J-C Chandor sortait en France le dernier jour de 2014. Je n'avais pas vu Margin Call et All Is Lost au moment où je me suis rendu dans mon cinéma préféré pour voir A Most Violent Year. J'étais donc totalement vierge de l'oeuvre de Chandor. Impressions.
Abel Morales est un chef d'entreprise qui réussit. Il est jeune, il a une montre qui brille, une jolie femme (Jessica Chastain, chacun ses goûts) et dirige une société de transport de fioul. Depuis quelques temps et, dès le début du film, de plus en plus souvent, ses camions se font braquer, ses conducteurs tabasser. Abel est seul contre tous pour tenter de résoudre ce problème sans avoir à tomber dans l'illégalité. Malheureusement, son entourage, chef du personnel, associé et épouse, ne comprennent pas pourquoi cela est si compliqué pour lui de dépasser la limite (si ténue) entre honnêteté et banditisme.
L'idée de génie dans cette histoire en apparence banale c'est de donner à Abel Morales tous les oripeaux du héros de films de gangster. En plus de la montre qui brille. Il est un sud-américain qui parle avec les mains, qui discute le prix d'un terrain dans un endroit sombre, qui habite une maison que n'aurait pas déplu à Tony Montana et qui a la fâcheuse tendance à prendre tout le monde dans ses bras en leur tapant dans le dos. Mais Abel Morales est en réalité la droiture incarnée dans ce monde de pouvoir et d'argent et le film nous raconte qu'il est bien le seul.
Le grand talent de J-C Chandor est de réussir à nous embarquer dans cette histoire par la seule grâce d'une mise en scène touchant parfois à l'épure. Avec finalement peu de coups de feu, surtout en comparaison avec ce à quoi le cinéma récent nous a habitué, il instaure un climat prenant dans chaque scène avec trois fois rien. La scène de nuit où il renverse un chevreuil avec sa voiture en a fait sauter plus d'un sur son siège et depuis quand n'avions nous pas eu peur avec si peu ? La grande réussite du film est d'utiliser un certain classicisme dans la mise en scène et le récit, en les détournant pour en faire un moteur entièrement au service de la tension du spectateur.
A Most Violent Year est un film dans lequel on se plonge pour en ressortir essoufflé et bluffé. Une réussite virtuose qui transcende son scénario pour en faire une fresque grinçante.
Sois Cannibale !

Ce n'est pain perdu pour tout le monde

Il y a des années comme ça dont on sait qu'elles commencent bien parce qu'elles s'illustrent par un jeu de mots, écrit dès leurs premières heures. Il est alors temps de se souvenir : A-t-on écouté de la bonne musique en 2014 ? Les livres dans lesquels on s'est perdu, ont-ils changé notre regard ? Ont-ils rendu le monde plus beau ? Et le cinéma ? Était-il d'une qualité qui justifie qu'on continue de considérer les salles obscurs comme un des derniers refuges contre la folie ambiante ? Cette année, mon top de la précédente est une chimère, en effet je caresse l'illusion qu'il possède des vertus médicinales, pour me guérir de cette gueule de bois sourde qui rampe à travers le dédale de mes souvenirs. Vous avez dit 2014 ? Très bien, et vous ?
Disques :
-Blut Aus Nord, Memoria Vetusta III - Saturnian Poetry
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Baton Rouge, Totem-We Insist!, We Insist!
-Mondkopf, Hadès
-Extreme Precautions, I
-Mastodon, Once More 'Round The Sun
-Michel Cloup Duo, Minuit dans tes bras
-Yob, Clearing The Path To Ascend
-Warsawwasraw, Sensitizer
-Rouille, On Tue ici
-Ben Frost, AURORA
-The Austerity Program, Beyond Calculation
-La Dispute, Rooms Of The House
-Mogwai, Rave Tapes
-Shellac, Dude Incredible
-
Swans, To Be Kind
Concerts :
-Mogwai, Olympia
-Portishead, Rock en Seine
-Antemasque, Gaîté Lyrique
-La Colonie de vacances, 104
-Year Of No Light & Mars Red Sky, Point éphémère
-NOFX, Trianon
-Baton Rouge, Parvis

Livres :
-Steve Tesich, Price
-Matthew Stokoe, Empty Mile
-Cathi Unsworth, Zarbi-Caryl Férey, Les Nuits de San Francisco
Films :
-Mommy
-Whiplash
-Maps To The Stars
Bonne année et sois cannibale !

Price, Steve Tesich

Price est le premier roman de Steve Tesich, traduit en français après Karoo, magnifique deuxième roman et joli succès en librairie. Ce premier roman nous donne à lire l'histoire d'un été durant lequel son principal protagoniste, Daniel Price, va vivre son premier amour et perdre son père d'un cancer. Roman d'initiation, à l'amour d'abord, mais aussi à la découverte du désir, à la perte et au changement, Price est aussi drôle qu'il est profond.
Chaque roman de Steve Tesich commence par une scène, une description d'un événement qui peut paraître anodin mais qui est chaque fois fondateur de l'histoire qui nous sera contée. Ici, Daniel Price participe à une compétition importante de lutte, sport qu'il pratique avec ses deux meilleurs amis, Freud et Misiora. C'est cette compétition qui va nous projeter dans le récit de cet été où lui et ses amis vont être transporter par un tourbillon, aussi calme que dévastateur, celui du passage à l'âge adulte.
Tout l'art romanesque de l'écrivain tient dans cette incroyable et jubilatoire capacité à décrire des scènes en apparence banales mais desquelles émerge une tension palpable. Qu'il décrive une rixe entre Daniel, ses amis et des ouvriers de leur ville, ou plus simplement une scène quotidienne de discussion entre le héros et son père, la narration va chercher au cœur de l'action une foule de détails qui mis à la suite en disent long sur les chamboulement qui tiraillent Daniel et son petit univers.
L'histoire d'amour entre Daniel et la jolie Rachel est décrite avec tant de justesse et de réalisme, chaque petit aspect de leur idylle naissante étant porteur d'une vérité universelle sur les amours adolescentes. Steve Tesich sait alors comme personne se mettre à la hauteur de son héros, sans jamais tomber dans la facilité de ton du roman pour ados. Au contraire, on est à chaque page touché par les doutes et les craintes qui traversent l'esprit du jeune homme.
L'autre grande réussite du roman c'est de réussir à instaurer une temporalité qui colle au plus près à l'histoire. En effet, l'été pendant lequel se déroule l'action passe lentement pour Daniel, les journées sont longues et souvent pleines d'attente ou d'ennui. Paradoxalement à cela, il se passe beaucoup de choses pendant ces quelques mois que contient le roman. Quand, un peu avant la fin du livre, Daniel se souvient de la compétition de lutte qui sert d'introduction au récit, qu'il a l'impression qu'elle s'est passée il y a bien plus longtemps qu'à peine deux mois, nous avons également cette impression. Car entre-temps, tout son environnement et tout ce qu'il pensait savoir a été chamboulé.
Price est un grand livre, de ceux que l'on dévore avec passion, fait de thèmes forts, d'humour et d'une vraie sensibilité. Monsieur Toussaint Louverture nous gratifie comme à l'accoutumé d'une édition magnifique, de ces livres qu'on a plaisir à tenir pendant des heures.
Price, Steve Tesich. Monsieur Toussaint Louverture. Traduit de l'anglais (usa) par Jeanine Hérisson. 544 pages.