24 octobre 2017

Coup de torchon

Ceci est une nouvelle rubrique. Il paraît que dans la vie, il faut être capable de mettre aussi des mots sur ce qu’on n’aime pas et, dans le meilleur des cas, de le faire intelligemment, de savoir expliquer. Il ne suffit pas de dire « j’aime pas la soupe » pour s’en priver, mais d’au moins rajouter qu’elle est tiède, ce qui a le mérite de certifier qu’on l’a goûtée. Donc, régulièrement (chaque mois si le réveil sonne), un disque, ou deux, ou cinquante, seront listés ici-même avec un petit commentaire.

Pour essuyer les plâtres, on commencera avec le dernier Mogwai, Every Country Sun.

Mogwai, c’est un peu comme les pâtes, on peut en manger tous les jours pendant des années mais un jour, c’est fatal, aucune sauce, aucune épice n’y peut rien, on en a un peu ras-le-bol. On arrête alors pendant un certain temps et puis, un jour, on se dit que, tiens, ça ne serait pas si mal d’écouter Mogwai. Et c’est toujours aussi bon. Parce qu’il faut bien l’avouer, Mogwai a tout inventé d’une certaine sorte de post-rock, instrumental, doux-amer, violent-calme. Oui, mais voilà, le nouvel album, pas forcément mauvais, n’apporte que peu de pierres à un édifice déjà terriblement solide et haut de neuf long formats (sans compter la quantité de B.O, de live et de EP). Et si Mogwai sait toujours mieux que personne soulever des masses d’émotions et faire naître des images mentales, on pourrait souhaiter que de nouvelles choses se produisent, que Mogwai évolue plus vite qu’à très petites touches, qu’il recommence à jouer avec des guitares, beaucoup de guitares, ces dernières étant de moins en moins présentes depuis Hardcore Will Never Die, But You Will. Le dernier tiers du disque dément un peu cela mais un peu tard et de façon relativement académique.

En 2013, sur la Bande-originale des Revenants, tout semblait nouveau alors qu’on reconnaissait toujours la pattes de Mogwai. Tout semblait aussi possible pour la suite. Aujourd’hui, ce côté électro post-rock un peu anonyme, même s’il est souvent de très bonne facture, ne semble pas aussi marquant que Mogwai a pu l’être bien des fois et, finalement, de bien des façons.
La gêne de Calimity n’est cette fois-ci pas trop forte mais il faudra bien finir par faire quelque chose, au risque de la lasser totalement.


« Il y a souvent plus de stupidité que de courage dans une constance apparente ». Rousseau


Sois Cannibale

7 septembre 2017

Fire Walk With Me

J'ai fini Twin Peaks hier. J'étais un peu triste mais surtout soufflé. C'est de loin, de très loin, l'objet télévisuel le plus jusqu'au-boutiste et extrême que j'ai vu de toute ma vie. C'est au-delà de tout, angoissant, violent, drôle, certes, mais très expérimental, porté par des effets spéciaux moins réalistes qu'oniriques et esthétiques, avec un côté rétro nous rappelant les premiers effets numériques.

Et puis l'histoire, dix-huit heures d'errance à travers les Etats-Unis partant dans des dizaines de directions mais réussissant à nous porter parce que Lynch sait faire naître la certitude qu'il sait ce qu'il fait et où il va même si, peut-être, ce n'est finalement pas le cas. Réussir à faire regarder à la télévision une série avec des épisodes entiers sans dialogues et sans histoire, savoir se baser tour à tour sur l'image et son pouvoir ou et sur une chronologie inédite puisque ayant commencé il y a plus de vingt-cinq ans, quel exploit !! Pourtant, rien n'est jamais acquis, on se demande souvent ce qu'on est en train de regarder et si la série répond à de très anciennes questions aujourd'hui ancrées dans la culture populaire, elle en pose des dizaines d'autres. La fin n'est pas une fin alors qu'on sait qu'il n'y aura plus de suite.

Malgré cela, malgré la frustration d'une attente non comblée, on sort de ces dix-huit heures comme d'un songe fascinant qu'on peine à s'expliquer. Le mystère Twin Peaks n'a jamais été aussi dense, les réponses apportées aussi satisfaisantes soient-elles ne sont que des images de surface derrière lesquelles de nouveaux labyrinthes de questions se creusent. David Lynch et Mark Frost ont réussi à rendre hommage à leur bête polymorphe tout en concassant leur jouet et les attentes des fans. Là où, il y a vingt-cinq ans, l'oeuvre jouait avec les codes des séries en changeant définitivement la face de la fiction télévisuelle, cette dernière saison change ce qu'est Twin Peaks et tout ce qu'on pouvait en attendre est révolutionné. Quand on se souvient que la presse craignait le fan service et le ramollissement, Lynch n'a ni fait cela ni tenté de révolutionner le monde des séries mais a utilisé son bébé comme une balle rebondissante (spolier), s'amusant de l'infinité des possibles que la bête Twin Peaks portait en embryon. Avec moins de 300 000 téléspectateurs devant leur poste pour chaque épisode, la série est à la fois un échec et le plus inestimable cadeau que le réalisateur pouvait nous faire : n'écouter que son envie et donner libre cours à son exploration d'un univers multiple qui restera le plus infini cauchemar que la télévision nous ait offert.


Pour la rentrée, sois cannibale !

20 juillet 2017

Épuration esthétique

  Aujourd’hui, à la demande générale des chats du quartier et surtout de ma voisine qui adore que j’écoute Karate en boucle, le post d'aujourd’hui inaugure une nouvelle rubrique (qui en fait existe déjà mais qui n’avait pas de nom (tu suis ? (triple parenthèse par amour des bonnes choses))) : Désordre esthétique. Je vous vois déjà, vous tortillant d’extase à cette nouvelle « oh oui, tonton cannibale, une nouvelle rubrique ». Point de musique ici mais du goût pour le beau, de la passion pour l’image, du fétichisme pour l’emballage, de l’amour pour la photo, bref, du style, des couleurs, des typos, de la classe et des pochettes d’albums qu’on pourrait regarder pendant des heures. Pour baptiser cette nouvelle vieille rubrique, nous allons parler minimalisme, épuration, beauté par le peu.


Certains esprits extrémistes ne sont pas loin de penser que pour faire une pochette de disque parfaite, il suffit de deux couleurs et d’une typo choisies avec une science de l’agencement touchant au miracle. Ces gens de goûts sont à l’origine d’une des vérités qui fait que le monde peut parfois échapper à la laideur. Il suffit de se souvenir de 13 Songs de Fugazi pour se dire qu’il n’y a pas besoin de faire beaucoup pour obtenir la perfection. Et comme le monde est bien fait et que la logique réussi parfois l’étrange parie de s’inviter à la table du chaos, le hardcore étant lui-même l’art de faire beaucoup avec peu, on comprend pourquoi le premier exemple qui nous vient est le chantre du HxC made in Washington DC. Bien des gens (pour le meilleur et le pire) derrière les visuels de groupes se réclamant être les héritiers d’un certain esprit DIY punk et hardcore se sont de tous temps essayés à la beauté qui tient à peu, à l’unique couleur qui fait tout, à la ligne qui étant seule est une ligne que l’on remarque et qui nous raconte des choses.*

Une bonne pochette d’album n’a, du moins à l’origine, pas vocation à devenir un poster, une image qui se suffit à elle-même, elle ne doit être que comme l’étiquette sur une bouteille ou plutôt, elle est le couvercle d’une boite de pandore et n’est qu’une illustration d’un contenu. En cela, elle est un format idéal pour l’abstraction, l’apparition d’aucune information n’étant finalement nécessaire en son sein puisqu’elles peuvent être présentent ailleurs, sur la tranche du boitier du disque ou sur un sticker. Les exemples sont nombreux de disques à la pochette immaculée ou même sans pochette du tout. Mais comme dit plus haut, les plus belles sont composées de deux ou trois éléments : texte, couleur, photographie.

Je ne peux m’empêcher de citer une nouvelle fois Karate dont les pochettes de Some Boots et Pockets sont des chefs-d’œuvre du genre. La première et ses deux couleurs qui englobent une photographie, les verticales qui se répondent et les jeux de couleurs sur la typo sont un miracle de création visuel qui illustre à merveille le contenu du disque. La deuxième a l’idée géniale d’utiliser un schéma pour toute illustration et de le présenter sur un fond gris. La sobriété étant dans ces exemples un outil esthétique entièrement au service d’une façon de faire, elle est une philosophie du carcan comme base de création. Le minimalisme d’une pochette d’album devient alors un reflet de ce que peut être la musique quand elle est limitée par une contrainte. Il est un miroir à la question de tous temps : que peut-on faire de nouveau quand ne dispose que d’une batterie, d’une guitare, d’une basse et d’un micro ?

Il est plaisant de se balader dans sa discothèque et d’y chercher ces pochettes qui font tout avec peu et qui par leur simplicité apparente sont le reflet parfait des disques qui finissent par devenir une partie intégrante de nous-mêmes. Ils sont comme une photo ou un tableau qu’on garde accrochés longtemps sur un mur, chaque fois que l’on pose un disque sur une platine, le premier élément qui compose cette action est un fait visuel qui nous guide. Et il est amusant de se rendre compte que souvent lorsque l’on oublie le nom d’un groupe, il suffit de se représenter sa pochette dans notre tête pour se le rappeler. Bien sûr, plus la pochette est épurée, plus cette gymnastique est aisée.

*Certains esprits chagrins me diront qu’ailleurs ou même avant, sous d’autres latitudes musicales, on faisait déjà dans l’épuration. Ils me citeront les Beatles, Metallica et d’autres. Je leur répondrai méchamment que l’album blanc est blanc pour faire couler de l’encre et n’est que le fruit d’une démarche marketing, ils me répondront que je suis de mauvaise foi, ils auront peut-être raison sur ce point mais pas sur la question qui nous intéresse aujourd’hui.

Le cannibalisme passe aussi par le regard. Devient cannibale

1 juin 2017

Le Lit est dans l'océan

Et puis un jour, Karate.

Il y a des groupes très rares, de ceux qui portent en eux une certaine magie. Chez certains, cette magie se mérite et se révèle au bout d’un quasi parcours du combattant avec, à l’arrivée, la satisfaction de comprendre et d’apprécier quelque chose de supérieur, à la beauté complexe. Et puis il y a ceux, peut-être plus rares encore, dont la magie apparaît instantanément, comme une évidence, sans jamais faiblir, constante dans chaque note, à chaque écoute. On les découvre et ce qu’on entend apparaît tel que chez ceux qu’on aime et qu’on écoute depuis toujours. Ils font tout de suite partie de nous. Karate est de ceux-là. Il y a quelques semaines, j’ai écouté un disque d’eux presque par hasard. Beaucoup de disques tournaient chez moi et d’un coup, il n’y eu plus rien à faire, il n’y eu plus que Karate.
On pourrait dire d’eux que c’est un peu Pinback en plus lo-fi ou 31 Knots en moins mathématique, mais on aurait finalement rien dit. Sur leurs trois premiers disques, une certaine orfèvrerie pop vous fait de l’œil pendant que la complexité rythmique s’occupe de rendre chaque morceau assez dense pour être toujours passionnant. Le tout a souvent des tournures rappelant la sécheresse d’un Fugazi tout en étant capable de vous balader sur les terres du jazz le plus aventureux. On pense aux vieux Tortoise au détour d’une intro et on finit par comprendre que Karate est beaucoup plus que la somme de ces petites choses qui nous en rappellent d’autres.
Sur In Place of Real Insight et The Bed is in the Ocean, deux pics de leur discographie, chaque riff, break ou mélodie de chant semble parfaitement à sa juste place, tout semble couler de source et il n’y a jamais rien de trop, aucun remplissage. Les deux disques apparaissent alors comme touchés par la grâce, celle d’un rock indé à la modestie artisanale, ouvragée. De la magie. Puis, on réécoute, on s’habitue, on attend telle cassure, telle phrase chantée en début de morceau (« On Cutting », sublime), on prend ses aises et cette collection de morceaux devient un labyrinthe duquel on a appris à toujours savoir sortir mais dans lequel on aime à courir, jouer à se perdre. On se demande alors : comment c’était la vie sans Karate ?


On se met tous au Karaté, on est tous cannibales.

5 avril 2017

Demande à la poussière

Ils sont quatre, ils sont beaux, ils sont de Pennsylvanie, aujourd’hui on déblatère noise avec Pissed Jeans et le petit nouveau Why Love Now.

La question qui est sur toutes les lèvres, de ceux qui savent que le seul groupe noise encore vivant à être signé sur Sub Pop et valant qu’on s’y intéresse (Metz peut aller se rhabiller) est Pissed Jeans, est la suivante : comment fait-on pour pondre un album qui sorte du lot quand on arrive, déjà, à son 5e disque ? C’est tout simple, il suffit de sortir son meilleur disque. Facile, non ?

D’abord, Pissed Jeans réussi à se dépasser lui-même en osant aller un peu ailleurs, comme sur « I’m A Man » et son spoken Word sur fond de martellement martial, très réussi pour un truc chez eux pas du tout habituel. Il y a aussi, au rayon des grandes réussites, l’introductif « Waiting On My Horrible Warning » donc le cri introductif terriblement jouissif, la lourdeur marécageuse et l’emphase impressionnent dès les premières écoutes.  

Ensuite, ça tombe sous le sens, il faut du tube, des trucs qu’on a envie de retrouver. Pour cela, « The Bar Is Low » fait plutôt bien le taf, ça va vite et directement où là où ça fait boom, du tout bon. Mais le grand gagnant rayon morceau parfait c’est « Love Wthout Emotion », dès le break de batterie qui entame le morceau, on sait que ça va être comme on aime et puis tout se déroule ensuite de façon miraculeuse, du grand art, et puis ce refrain, cette mélodie (oui, oui, de la mélodie).

Il y a encore beaucoup d’autres choses sur ce lp, le riff qui tronçonne de « (Won’t Teel You) My Sign », le slow « Activia » (non je déconne) qui conclut l’album comme il a commencé, dans une lenteur poisseuse. Jamais un disque de Pissed Jeans ne m’avait semblé aussi bavard, varié mais toujours juste, at surtout addictif comme ne peuvent l’être que les meilleurs. Ajouter à ça une production signée Lydia Lunch et Arthur Rizk (des noms qu’il est assez étonnants de retrouver ici (le second officiant généralement dans le metal)) qui sert totalement l’âpreté de la musique de Pissed Jeans et vous obtenez ce qui n’est pas loin d’apparaitre comme leur meilleur disque. Et ça, avouez que c’est fou, non ?

(MAJ : "Activia" n'est pas le dernier titre de l'album mais bien le pénultième mais on s'en fout, ça change rien.) 

T’as la loose ? Soit cannibale 

15 mars 2017

Near Death Experience

Il était une fois un type que je pensais être un musicien parmi d'autres, pas forcément sans talent mais noyé dans la masse et puis un jour j'ai écouté sa musique (on est con des fois...). Ce type c'est Emil Amos et aujourd'hui je gratte sur Holy Sons, son bébé solo. 

Si vous avez déjà eu l'impression, en écoutant un disque seul le soir, que quelqu'un s'adressait à ce que vous avez de plus intime en vous, l'enveloppait de sons pour le protéger et le tenir bien au chaud, vous avez de la chance. Quand j'ai écouté un disque de Holy Sons pour la première fois, je me suis tout de suite senti non pas chez moi, mais en moi-même, jusqu'à parfois sentir cette musique, cette voix, atteindre des régions insoupçonnées de mon espace mental, allant chatouiller mes synapses et les réveiller en leur chuchotant des choses qui font du bien. Je n'arrête pas de le dire ici mais c'est un des miracles de la musique que cette capacité, sans cesse renouvelée, à nous émouvoir. Et l'oeuvre de Holy Sons est assez vaste et possède assez de recoins pour nous tenir par la main pendant de longs mois.

Jetez-vous sur I Want To Live A Peaceful Life, la porte d'entrée idéale vers ce folk un peu Lo-Fi (Emil Amos y joue la totalité des instruments), un peu psyché mais jamais trop. Il y déroule des mélodies qui font fondre notre environnement direct pour nous faire entrer dans une musique qui paraît toujours simple mais est touchée par une grâce venue de derrière les choses. C'est la grande qualité des compositions du sieur Amos, ce côté psychédélique un peu lointain, toujours au service d'une narration folk parfois très sombre mais toujours habitée. Ecoutez "Family Man", prenez le temps de vous y arrêter et vous verrez qu'on touche ici à un pouvoir rare, à une dimension spirituelle de la musique telle qu'on la trouve dans le meilleur du grand (du très grand) Neil Young. 

Il me faut aussi parler de Decline Of The West, le disque suivant, fait de morceaux sonnants peut-être un peu moins folk du fait d'une boite à rythmes omniprésente, mais certainement pas moins habités. Les mélodies de chant se font ici plus travaillées, l'orchestration plus pop et le disque dans son ensemble est plus varié. Avec ces deux disques, on possède déjà le Graal mais on ne doit pas pour autant se priver de Survivalist Tales, The Fact Facer ou du dernier né In The Garden. Ils ont tous quelques petites choses précieuses à offrir. Amen.

"Sur le plan spirituel, toute douleur est une chance; sur le plan spirituel seulement." Emil Michel Cioran

Y a-t-il autre chose à faire qu'être cannibale