20 juillet 2017

Épuration esthétique

  Aujourd’hui, à la demande générale des chats du quartier et surtout de ma voisine qui adore que j’écoute Karate en boucle, le post d'aujourd’hui inaugure une nouvelle rubrique (qui en fait existe déjà mais qui n’avait pas de nom (tu suis ? (triple parenthèse par amour des bonnes choses))) : Désordre esthétique. Je vous vois déjà, vous tortillant d’extase à cette nouvelle « oh oui, tonton cannibale, une nouvelle rubrique ». Point de musique ici mais du goût pour le beau, de la passion pour l’image, du fétichisme pour l’emballage, de l’amour pour la photo, bref, du style, des couleurs, des typos, de la classe et des pochettes d’albums qu’on pourrait regarder pendant des heures. Pour baptiser cette nouvelle vieille rubrique, nous allons parler minimalisme, épuration, beauté par le peu.


Certains esprits extrémistes ne sont pas loin de penser que pour faire une pochette de disque parfaite, il suffit de deux couleurs et d’une typo choisies avec une science de l’agencement touchant au miracle. Ces gens de goûts sont à l’origine d’une des vérités qui fait que le monde peut parfois échapper à la laideur. Il suffit de se souvenir de 13 Songs de Fugazi pour se dire qu’il n’y a pas besoin de faire beaucoup pour obtenir la perfection. Et comme le monde est bien fait et que la logique réussi parfois l’étrange parie de s’inviter à la table du chaos, le hardcore étant lui-même l’art de faire beaucoup avec peu, on comprend pourquoi le premier exemple qui nous vient est le chantre du HxC made in Washington DC. Bien des gens (pour le meilleur et le pire) derrière les visuels de groupes se réclamant être les héritiers d’un certain esprit DIY punk et hardcore se sont de tous temps essayés à la beauté qui tient à peu, à l’unique couleur qui fait tout, à la ligne qui étant seule est une ligne que l’on remarque et qui nous raconte des choses.*

Une bonne pochette d’album n’a, du moins à l’origine, pas vocation à devenir un poster, une image qui se suffit à elle-même, elle ne doit être que comme l’étiquette sur une bouteille ou plutôt, elle est le couvercle d’une boite de pandore et n’est qu’une illustration d’un contenu. En cela, elle est un format idéal pour l’abstraction, l’apparition d’aucune information n’étant finalement nécessaire en son sein puisqu’elles peuvent être présentent ailleurs, sur la tranche du boitier du disque ou sur un sticker. Les exemples sont nombreux de disques à la pochette immaculée ou même sans pochette du tout. Mais comme dit plus haut, les plus belles sont composées de deux ou trois éléments : texte, couleur, photographie.

Je ne peux m’empêcher de citer une nouvelle fois Karate dont les pochettes de Some Boots et Pockets sont des chefs-d’œuvre du genre. La première et ses deux couleurs qui englobent une photographie, les verticales qui se répondent et les jeux de couleurs sur la typo sont un miracle de création visuel qui illustre à merveille le contenu du disque. La deuxième a l’idée géniale d’utiliser un schéma pour toute illustration et de le présenter sur un fond gris. La sobriété étant dans ces exemples un outil esthétique entièrement au service d’une façon de faire, elle est une philosophie du carcan comme base de création. Le minimalisme d’une pochette d’album devient alors un reflet de ce que peut être la musique quand elle est limitée par une contrainte. Il est un miroir à la question de tous temps : que peut-on faire de nouveau quand ne dispose que d’une batterie, d’une guitare, d’une basse et d’un micro ?

Il est plaisant de se balader dans sa discothèque et d’y chercher ces pochettes qui font tout avec peu et qui par leur simplicité apparente sont le reflet parfait des disques qui finissent par devenir une partie intégrante de nous-mêmes. Ils sont comme une photo ou un tableau qu’on garde accrochés longtemps sur un mur, chaque fois que l’on pose un disque sur une platine, le premier élément qui compose cette action est un fait visuel qui nous guide. Et il est amusant de se rendre compte que souvent lorsque l’on oublie le nom d’un groupe, il suffit de se représenter sa pochette dans notre tête pour se le rappeler. Bien sûr, plus la pochette est épurée, plus cette gymnastique est aisée.

*Certains esprits chagrins me diront qu’ailleurs ou même avant, sous d’autres latitudes musicales, on faisait déjà dans l’épuration. Ils me citeront les Beatles, Metallica et d’autres. Je leur répondrai méchamment que l’album blanc est blanc pour faire couler de l’encre et n’est que le fruit d’une démarche marketing, ils me répondront que je suis de mauvaise foi, ils auront peut-être raison sur ce point mais pas sur la question qui nous intéresse aujourd’hui.

Le cannibalisme passe aussi par le regard. Devient cannibale