3 juin 2018

Dark Water

"C'est gras. Et fin, en même temps. Comme des rillettes."C'est par ces quelques mots aussi fleuris qu'impeccablement justes et flatteurs (si, si) qu'un homme de mes amis, au goût toujours certain et à la verve tripière, a réagi à la première écoute de Endless Floods et de son deuxième long format, terriblement sobrement intitulé II. Doom.

Un peu de math pour commencer, ça fait toujours du bien. Le disque est composé de deux titres longs et d'un court intermède. Quasi vingt-cinq minutes pour le premier et presque vingt pour le second. Et s'il est vrai que, dans le genre qui nous intéresse, la longueur extrême n'est plus une surprise pour personne, rare sont ceux qui réussissent à imposer quelque chose d'original sur un format somme toute assez casse-gueule. Et mieux, si je vous disais que II est captivant de bout en bout dès la première écoute ? Incroyable, non ?

"Impasse" ouvre le pot (oui, oui, de rillettes, c'est bien) en se développant d'abord de façon assez classique : lenteur, crasse, toutes cymbales dehors et une mélodie qui rampe au milieu de tout ça. On pense alors un peu aux voisins de Monarch! sur leurs travaux les plus abouties (il faut que je vous parle de Never Forever (je sais ça commence à dater)). Et puis le chant arrive, et là mes frères (et mes sœurs), le miracle se produit. Parce que si à l'instant où l'on se trouve, seulement quelques minutes se sont passées, on entre dans quelque chose de plus inédit et qui participe à l'intérêt magnétique que Endless Floods aura très vite pour ceux qui y poseront une oreille attentive. Car si la musique fait songer à du Sludge/Doom certes de très bonne facture, le chant ferait facilement penser aux grandes heures de la French Way of Emo (je mets tous les noms de genres en majuscules, je suis d'humeur classificatrice respectueuse). Et pour qui suit ce blog depuis quelques temps (j'en vois quelques-uns au fond), il saura que ça ne peut pas me laisser insensible. Figurez-vous qu'à ce train-là, le morceau est tellement palpitant que quand, d'un coup, le calme s'installe, le quart d'heure est largement passé. Le morceau bifurque alors vers quelque chose de moins âpre, la guitare se fait clair et on glisse tranquillement vers la contemplation jusqu'à ce que le tout grimpe encore vers des cimes de distorsions, mais dosées, par touche savante. Parce que l'autre grand atout de Endless Floods, c'est cette gestion parcimonieuse du bruit, de ces ambiances Noise qui font clairement son identité. Et boom, un p'tit tour de force, comme ça, modeste et appliqué, réussissant à captiver pendant la durée moyenne d'un long disque de Grind.

"Passage" se la joue interlude acoustique, en faisant bien plus penser à Steve Von Till qu'à un truc de hippies et c'est très bien, on sait qu'on a changé de face et qu'on peut se rasseoir pendant une vingtaine de minutes (-reprendrez-vous un peu de rillettes ? -Oh moi, vous savez, en apprenant la mort du maire du Mans pendant la rédaction de cette chronique, je ne sais plus comment je m'appelle. Une grande perte pour le monde du théâtre, c'est tout ce que je peux vous dire...).

"Procession" commence comme une romance à deux de nuit sur un alligator dans un marécage en regardant les obsèques du maire du Mans en Replay sur l'application smartphone de France 3 Pays de la Loire. Mais heureusement, il n'y a plus de réseau, la retransmission s'arrête et la voix déboule, encore plus papier de verre en lambeaux que jamais, Sludge pour tous et chacun sa merde. Quand soudain, les lumières commencent à se faire plus lointaines, la musique n'est plus qu'un souffle... Et repart, encore et encore, chaque fois plus goudronnée, toujours plus noise, avec une guitare qui se dresse et serpente en suintant jusqu'à s'épuiser, au faîte d'un disque qui, disons-le, nous subjugue. Et les dernières lumières s'éteignent avant que le disque ne se termine dans un déluge complet. Et Endless Floods a bon sur toute la ligne. Épatant, hein ?

"Une rue, c'est ce qui va quelque part. Ça marche de chaque côté de nous comme une procession." Paul Claudel

Plus que jamais, sois cannibale.