23 novembre 2012

Un Homme en colère

En 2011, Michel Cloup, acteur majeur de la scène rock de France dans les années 90 au sein de Diabologum, sortait un LP solo. Pas tout à fait solo puisque le disque sort sous le nom Michel Cloup Duo.

Notre silence est un album difficile à classer, hors normes et loin des modes, expérimental dans sa démarche (duo batterie-guitares/chant) mais terriblement accrocheur grâce à des textes magnifiques, simples et profonds. L'ensemble est porté par le charisme du bonhomme, ses mots forts, sa diction habitée sans jamais être théâtrale ou sonner fausse. Car ce disque respire la sincérité, l'immédiateté d'un message, on sent que son auteur avait besoin de dire tout cela. Le chant est souvent à la limite du parlé, mais n'allez pas penser ici au slam. Si deux titres courts sont de petits textes que Michel Cloup nous souffle au creux de l'oreille, le reste de l'opus ne peut pas être réduit aux textes car ils sont toujours à égalité avec la musique. Et quelle musique!

Tantôt résolument rock et versatile, tantôt plus ambiante, la guitare joue ici un rôle majeur, elle raconte presque autant de choses que le chant, elle l'illustre, appuyant la narration de chaque titre. Le comparse de Michel Cloup à la batterie est Patrice Cartier, déjà complice au sein d'Expérience, dont le jeu est assez minimaliste mais toujours technique et réfléchi. La batterie tenant, au même titre que la guitare, une place de choix dans les arrangements de chacun des morceaux. On sent que chaque coup de cymbale, chaque roulement sont pesés pour servir le propos, pour raconter une histoire.

Les textes sont denses, deux morceaux dépassent la barre des dix minutes, plusieurs, comme "Le Cercle parfait" et "Plusieurs fois cet après-midi" sont de véritables histoires, avec un début, une fin et comme une sorte de but, de morale. Chaque fois, le chanteur arrive à nous captiver, nous tenir aux aguets, pour nous conter ses petites histoires de blessures, de deuil et de colères. La rigueur de son écriture fait naître en nous des images, en faisant appel à notre imaginaire émotionnel commun. Le disque se termine par "un film américain" où la thématique cinématographique est enrichie par ses images racontées par le chanteur pour un titre résolument rock, sûrement le plus immédiat du disque.

Écouter cet album court est une sorte d’expérience de catharsis dans laquelle on plonge facilement, les morceaux étant bien assez riches pour exciter l'oreille du début à la fin. On finit son écoute comme on referme un bon roman, en se posant des questions, en sentant que quelque-chose de nouveau est entré en nous.

"Mon histoire, notre histoire. Dans le creux de ton oreille, ce n'est pas rien."

Le duo est à voir absolument sur scène! Jetez une oreille curieuse sur les autres groupes du monsieur : Diabologum, Expérience, Binary Audio Misfits... Et comme toujours, soyez cannibales.

15 novembre 2012

Ghosts of Mars

Lors de mon tout premier voyage sur Mars, j'ai eu la chance de rencontrer des gens vraiment formidables, uniques et originaux et pas toujours sains, mais formidables ça oui on peut le dire. J'y ai surtout découvert un groupe génial, hors normes : Fuck Buttons.

Souvenir : "Ah je suis bien là, au chaud allongé sur un transat avec vous Krunger. Votre planète est vraiment un lieu très dépaysant. Et cette lumière rouge que vous avez ici, c'est magnifique. J'y pense, je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité, mais je me ferai bien faire une gâterie par une de vos amazones de 8 mètres de haut. Elles ont l'air vraiment charmantes... Et votre ami, j'ai oublié son nom, il m'a expliqué qu'elles faisaient des choses, enfin vous voyez ce que je veux dire.

C'est quand même accueillant chez vous! Bon on dira ce qu'on voudra, c'est vrai que les types bizarres là-bas derrière la colline, ils sont un peu bizarres. Cette manie de tuer les gens, de les décapiter et de planter leurs têtes sur des pics... Enfin! Qui suis-je pour juger les autochtones, hein ? Et puis, ces cocktails que vous me servez, je ne préfère pas savoir ce qu'il y a dedans, mais ils sont tellement rafraîchissants! Par cette chaleur, c'est pas du luxe!

Et la musique là c'est quoi ? Fuck Buttons ? Ah, je reconnais bien là la verve littéraire martienne, votre langue si évocatrice! D'ailleurs les amazones ? Oui, oui on verra plus tard. Oui, cette musique, une sorte de mélange savant entre les percus tribales de l'album roots de Sepultura et des instrumentaux d'Amon Tobin mais le tout joué au ralenti et à l'envers. Ça on peut dire que vous avez de l'imagination à revendre ici. En même temps vous devez pas mal vous emmerdez parfois, au milieu de toute cette terre ocre. Comment ? Ah oui avec toutes les drogues que vous prenez, vous ne voyez pas le temps passer. J'imagine bien oui...

Et alors ce groupe, ils viennent d'ici ? C'est un groupe local d'accord ? Ah J'imagine que leurs concerts au fond du cratère doivent être époustouflants, je vous crois sur parole. Des sacrifices ? Oh la la, non ça ce n'est pas trop mon truc mon petit Krunger... Mais par contre les amazones... Enfin votre femme m'a raconté que le dernier terrien qui est passé par chez vous est mort étouffé dans son lit, une amazone à côté de lui. Oui je comprends que ça vous perturbe, que ça entache votre réputation d'hôte exemplaire. Je me mets à votre place. Mais du coup non, ça ne m'inquiète pas plus que ça, je crois même que ça a un côté assez excitant. Pardon ? Je suis en train de devenir un vrai martien ? Je prends ça pour un compliment, merci.

Alors vous dites qu'ici, vous écoutez ce genre de musique pour calmer vos insomnie ? Avec les drogues que vous prenez, les insomnies ça ne m'étonne qu'à moitié. Surtout avec cette substance étrange que vous mâchez à longueur de journée et qui vous fait briller dans le noir, forcément. Mais les espèces de cris de fantômes qu'on entend dans cette musique, ça ne vous dérange pas ? Ah ça vous apaise ? Oui chacun son truc. C'est vrai qu'au début c'est étrange, presque terrifiant, et puis ça devient relaxant, on s'enfonce dans son transat comme dans du coton en écoutant cela. Ça et vos cocktails, c'est le paradis.

Mais comment s'appelle ce morceau ? Oui le premier du disque ? "Sweet love for planet earth" ? Ah ça me fait penser que demain je retourne chez moi, la terre me manque. Ah vous et vos semblables vont terriblement me manquer mon petit Krunger... Je partirai fâché si vous ne me présentez pas cette amazone là-bas, la grande brune avec la corne qui lui sort de la joue... Vraiment fâché!"

Le lendemain matin, avant de me laisser partir, mes hôtes m'offrir Street Horrrsing, le premier LP de Fuck Buttons. Je n'ai jamais trouvé le deuxième, vous savez ce que c'est les imports de Mars. Chaque fois que je l'écoute pour m'endormir, des souvenirs vaporeux m'envahissent. Alors je rêve à cette planète rouge où certaines femmes font plus de quatre fois ma taille. Et ça en vaut la peine, croyez moi.

Soyez cannibales!

6 novembre 2012

Last Days

Le 5 avril 1994, un type se tire une balle. Le souci c'est que c'est Kurt Cobain, catapulté malgré lui porte-parole d'une génération, la génération X, comme les journalistes aimaient à l'appeler. Mais je ne vais pas ici vous parler de Nirvana, de leur impact sur la musique des vingt dernières années, cela a peut-être déjà été fait trop de fois. Essayez simplement d'écouter In Utero ou Nevermind sans penser à tous cela, à la dimension sismique du groupe, à sa popularité et à sa fin. Dans sa lettre d'adieu, le blondinet cite "hey hey my my" de Neil Young, lequel est au moment des faits en train d'enregistrer un nouvel opus. Il s'appellera Sleeps with angels, en hommage au disparu. Il sera l'un sinon LE disque le plus sombre du loner.

J'avais neuf ans, la première fois que j'ai entendu un morceau de Neil Young, c'était précisément sur cet album. "My Heart" résonne dans mon quotidien depuis dix-huit ans, comme une bande-original de mes passions musicales. La musique n'était pas encore dématérialisée et l'on portait les jeans troués et les chemises à carreaux, nous étions grunge, c'était la mode. Neil Young, lui, allait sur ses 50 ans, c'était le patron, revenu de tout, des excès, de la mort de plusieurs de ses amis, de la maladie de ses enfants, respecté par des générations de musiciens, Pearl Jam, Nirvana bien sûr et Sonic Youth, qui avait fait sa première partie sur une longue tournée mondiale.

Au delà de cet hommage sombre, Sleeps with angels apparaissait déjà comme le meilleur album du canadien depuis la fin des années 70. Pour ma part, et ayant par la suite tenté en vain de digérer sa discographie plus que colossale, c'est son opus que je trouve le plus complet, le plus inspiré. Tout ici est comme touché par la grâce, l'album fourmille d'arrangements discrets mais au combien magnifiques. Les paroles sont, comme toujours, profondes et belles mais cette fois beaucoup plus porteuses de sens. Le loner n'est pas là pour nous chanter des petites chansons d'amours tristes, nous parler des grands espaces américains. Il évoque la mort, l'échec et la perte, quand tout ce en quoi l'on croit disparait.

"Sleeps with angels" et son riff de guitare fangeux est le constat qui s'impose après la mort de Cobain : "Too soon, he's always on someone's mind, too late". Comme toutes les icônes, le leader de Nirvana représentait l'espoir, symbole lourd de sens quand on connait son parcours. Et cet espoir a disparu avec lui, pour un temps au moins. Une fois cela posé, l'album peut se dérouler plus conventionnellement, sans trop de violence et de noirceur. Mais il est trop tard, le début a été si pesant, est descendu si loin dans l'ombre que même lorsque les paroles seront plus positives, cela sonnera faux, cynique."Change your mind".

C'est une des forces de ce disque, chaque morceau ne trouve son contenu et son réel message que dans l'ensemble de la tracklist. Car dès le début les dés sont pipés, on sait de quoi nous parle le chanteur, on sait ce qui dirige le Crazy Horse, l'ambiance est déjà sombre avant que la musique et les mots ne résonnent. Il faut écouter ce disque en entier, passer par toutes ses phases, entendre chaque solo de guitares et alors on ne peut que l'aimer. Car ce qui reste, bien plus que l'hommage, la noirceur, c'est un des plus magnifiques disques de rock de l'histoire. Une chose simplement belle même si crue, un ensemble de chansons qui résistent au temps. Et après dix-huit ans, peu de choses ont ce pouvoir.

Psychedelic Pill vient de se pointer dans les bacs, neufs ans qu'on n'avait pas entendu de morceaux originaux du Crazy Horse. Jetez une oreille curieuse dessus. Et restez cannibales.