6 novembre 2012

Last Days

Le 5 avril 1994, un type se tire une balle. Le souci c'est que c'est Kurt Cobain, catapulté malgré lui porte-parole d'une génération, la génération X, comme les journalistes aimaient à l'appeler. Mais je ne vais pas ici vous parler de Nirvana, de leur impact sur la musique des vingt dernières années, cela a peut-être déjà été fait trop de fois. Essayez simplement d'écouter In Utero ou Nevermind sans penser à tous cela, à la dimension sismique du groupe, à sa popularité et à sa fin. Dans sa lettre d'adieu, le blondinet cite "hey hey my my" de Neil Young, lequel est au moment des faits en train d'enregistrer un nouvel opus. Il s'appellera Sleeps with angels, en hommage au disparu. Il sera l'un sinon LE disque le plus sombre du loner.

J'avais neuf ans, la première fois que j'ai entendu un morceau de Neil Young, c'était précisément sur cet album. "My Heart" résonne dans mon quotidien depuis dix-huit ans, comme une bande-original de mes passions musicales. La musique n'était pas encore dématérialisée et l'on portait les jeans troués et les chemises à carreaux, nous étions grunge, c'était la mode. Neil Young, lui, allait sur ses 50 ans, c'était le patron, revenu de tout, des excès, de la mort de plusieurs de ses amis, de la maladie de ses enfants, respecté par des générations de musiciens, Pearl Jam, Nirvana bien sûr et Sonic Youth, qui avait fait sa première partie sur une longue tournée mondiale.

Au delà de cet hommage sombre, Sleeps with angels apparaissait déjà comme le meilleur album du canadien depuis la fin des années 70. Pour ma part, et ayant par la suite tenté en vain de digérer sa discographie plus que colossale, c'est son opus que je trouve le plus complet, le plus inspiré. Tout ici est comme touché par la grâce, l'album fourmille d'arrangements discrets mais au combien magnifiques. Les paroles sont, comme toujours, profondes et belles mais cette fois beaucoup plus porteuses de sens. Le loner n'est pas là pour nous chanter des petites chansons d'amours tristes, nous parler des grands espaces américains. Il évoque la mort, l'échec et la perte, quand tout ce en quoi l'on croit disparait.

"Sleeps with angels" et son riff de guitare fangeux est le constat qui s'impose après la mort de Cobain : "Too soon, he's always on someone's mind, too late". Comme toutes les icônes, le leader de Nirvana représentait l'espoir, symbole lourd de sens quand on connait son parcours. Et cet espoir a disparu avec lui, pour un temps au moins. Une fois cela posé, l'album peut se dérouler plus conventionnellement, sans trop de violence et de noirceur. Mais il est trop tard, le début a été si pesant, est descendu si loin dans l'ombre que même lorsque les paroles seront plus positives, cela sonnera faux, cynique."Change your mind".

C'est une des forces de ce disque, chaque morceau ne trouve son contenu et son réel message que dans l'ensemble de la tracklist. Car dès le début les dés sont pipés, on sait de quoi nous parle le chanteur, on sait ce qui dirige le Crazy Horse, l'ambiance est déjà sombre avant que la musique et les mots ne résonnent. Il faut écouter ce disque en entier, passer par toutes ses phases, entendre chaque solo de guitares et alors on ne peut que l'aimer. Car ce qui reste, bien plus que l'hommage, la noirceur, c'est un des plus magnifiques disques de rock de l'histoire. Une chose simplement belle même si crue, un ensemble de chansons qui résistent au temps. Et après dix-huit ans, peu de choses ont ce pouvoir.

Psychedelic Pill vient de se pointer dans les bacs, neufs ans qu'on n'avait pas entendu de morceaux originaux du Crazy Horse. Jetez une oreille curieuse dessus. Et restez cannibales.

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