26 septembre 2012

Un Roi sans divertissement

Cet article s'est un peu fait attendre mais j'ai, pour une fois, une excellente excuse. L'album dont je voulais parler est un de mes préférés, je l'écoute régulièrement depuis des années, c'est une référence absolue pour moi. Il s'agit de Pornography des Cure. Il sont peu nombreux les disques à pouvoir s'inviter aussi souvent sur ma platine, à revêtir tant de significations et à exercer un tel magnétisme sur leurs auditeurs. Car je ne suis pas le seul à porter aux nues ce LP. Loin de là.

Quand on connait les deux albums précédents, Seventeen seconds et Faith, il est étonnant d'observer l'énorme bon en avant accompli par le groupe. Tout est ici extrême, la noirceur des morceaux, le côté martial des rythmes de batteries, la complexité, le désespoir. Certains ont mis ça sur le dos de la drogue, il est vrai qu'à l'époque le groupe se défonçait comme jamais auparavant et s'il est vrai que la surconsommation de produits peut rendre profondément dépressif, ne faut-il pas l'être déjà pour se détruire comme le faisait Robert Smith et les siens en cette sombre année 1982 estampillée Tchatcher et guerre ? Suffit-il surtout d'être défoncé pour accoucher d'une musique si complète, si évocatrice ? Je ne pense pas.

D'après la légende, Smith dormait sous un bureau dans le studio d'enregistrement pendant toute la durée de la production de ce disque. L'immersion totale est déjà une meilleure explication. Rien n'est faux sur ce disque, ce n'est pas du rock dans le sens de divertissement. Rien n'est factice, chaque riff suinte la tristesse, le dégoût, mais les chansons sont belles. Elles portent un espoir lointain, il y a toujours une issue et Smith clame "I need a cure". Expiation, catharsis.

Ce disque n'est, malgré tout cela, pas difficile d'accès, dès la première écoute "Siamese twins" s'impose par sa rythmique mécanique, redondante et par sa mélodie cristalline. On peut aimer ce disque tout de suite après une simple écoute. Mais après, si l'on est sensible à cette musique, c'est un voyage au fond de nous-même chaque fois recommencé, chaque fois nouveau. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais, chaque fois que j'écoute l'album en entier, je le découvre, il me parle chaque fois avec une voix différente et ce que j'en retiens dépend de mon humeur, de mon état d'esprit. C'est un miroir qui montre à quel point beaucoup de choses n'ont pas de sens, sont cruelles, c'est aussi une fenêtre ouverte qui indique qu'il est toujours possible de sublimer le mal-être. D'en faire un des disques les plus importants de ces 30 dernières années, par exemple.

30 ans. Rien n'est daté dans cette musique, dans son message, son intemporalité et l'universalité de son inspiration la rendent immortelle. Je l'écoutais à 20 ans pour certaines raisons, aujourd'hui pour d'autres, j'ai des amis de 50 ans qui l'écoutent toujours avec la même curiosité qu'à sa sortie. Il n'est pas question de nostalgie ici, on ne cherche pas l'ado que l'on a été en posant le diamant sur le vinyle, c'est d'aujourd'hui qu'il s'agit. La musique agit encore, elle nous parlait avant, elle nous parle toujours et jamais The Cure n'aura réussi à renouveler l'exploit par la suite même si Disintegration est un grand disque. Robert Smith est ici un chaman, c'est à notre âme qu'il s'adresse, il dit le froid et la grisaille de la ville, il dit l'échec et la folie. Il dit l'ennui de ne pas pouvoir être autre et les mélodies de guitares si vivantes de "strange day" répondent à la répètitivité maladive de ses parties de batteries.

Dans Un Roi sans divertissement, le terrible livre de Jean Giono, on tue pour chasser l'ennui, pour ressentir enfin quelque chose. Ici, il suffit de monter le son, de s'immerger et les images défilent, chaque fois plus nombreuses et chaque fois plus riches. Et plus le temps passe, plus on aime ce disque comme une drogue dont les effets seraient chaque fois plus intenses.

Il ne faut pas écouter ce disque seulement par curiosité, il faut en avoir besoin. Et vous serez satisfaits. Restez cannibales.

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