8 décembre 2012

La Peste

On continue ce qui est en train de devenir une série sur les "classiques" français. Nous sommes en 1998, l'humeur est sombre, Chirac est un président qui ne fait même plus rire, le racisme est aussi banal que "le bruit et l'odeur", bientôt le pen sera au second tour des élections nationales. Un peu de patience. C'est une époque où l'on croit que ça aura du mal à devenir pire, et pourtant... On tombe alors encore sur de la bonne musique à la télé, l'émission Nulle-part ailleurs invite Les Thugs, Lofofora et Diabologum sur scène. Elle a surtout invité notre héros du jour, le bien nommé Oneyed Jack (Twin peaks rules) à jouer à l'époque de cynique (1995). Album sur lequel on trouvait "Le pouvoir", leur titre le plus connu pour cause de procès sur une simple phrase. "Bleu, blanc, rouge : trois couleurs pour la vision de cauchemar".

Ambiance. Cet article parlera du deuxième LP, Arise, mon préféré dans une discographie sans faille. Dès l'ouverture "Real", le ton est donné : sombre, aride et frontal. Les textes sont fleuves, la section rythmique est marteau-pilon. Le bassiste est toujours aussi impressionnant de groove et de technique. Chaque instrument est à sa place, les samples et les scratchs sont bien mieux amenés que sur le premier disque. Il n'y aura de concession d'aucune sorte. Fabien rappe comme jamais, son flow est fluide comme une giclée à haute-pression, les textes parlent du mal être ambiant, d'aliénation, de dépression.

La lumière est parfois là, caché derrière une phrase sous la forme d'un espoir, d'une chose à atteindre mais la chape de plomb que représente le monde extérieur est si lourde que le but semble bien souvent inaccessible. "Le choléra" et son clip cathartique lâche la bride à une forme de haine libératrice, "Will I arise ?"conclut le disque sur une note plus apaisé même si, ici comme ailleurs, la vision plus positive des choses ne s'exprime qu'à l'interrogatif.

Musicalement, le chemin parcourut depuis Cynique impose le respect, Oneyed Jack n'a jamais sonné aussi construit, réfléchi et les ambiances sonores développées par les machines sont d'une richesse rarement atteinte dans le genre. Le groupe n'en perd pas pour autant son côté frontal et massif grâce à des riffs de guitares bien lourds et à sa section rythmique si versatile. Une question vient alors à moi : comment se fait-il que le groupe, ayant été le meilleur représentant de la fusion à la française, qualitativement bien au dessus de la mêlée, est certainement celui qu'on a le plus vite oublié et celui qui a vendu le moins de disque.

Jack le borgne est donc resté dans l'ombre d'un No one is innocent ou d'un Silmarils (Les boys-band c'est de la musique ?), non pas à cause d'une qualité musicale moindre (à côté de Silmarils il faudrait vraiment être mauvais) mais bel et bien parce qu'il est toujours resté sans compromis. Les textes sont toujours sombres et souvent glauques, l'aspect festif beaucoup moins présent que chez les voisins et la musique bien plus complexe et certainement moins centrée sur la mélodie. Ici il n'y a pas de confort d'écoute pour petit rebelle en baggy (on est dans les 90's), Oneyed jack ne vend pas du rêve ou de la révolte en tube. Il crie son message, son constat, sans aucun souci des modes. Il est l'enfant borgne de la réalité et du quotidien, ou plutôt son bâtard. Et c'est pour cela qu'on l'aime.

Ce groupe mérite vraiment qu'on se penche sur son cas et cela même si parfois la production semble dater. La richesse musicale, l’intransigeance du message, l'alchimie parfaite entre metal, rap, trip-hop, funk et une pincée de reggae font de ce groupe unique une pépite dans les archives du rock de France. Il n'y a pas besoin d'avoir grandi dans les 90's ou de céder à une nostalgie maladive pour se prendre dans la gueule quelques scratchs et des samples de Rage against the machine. Il n'y a pas d'époque idéale pour être en colère, se sentir concerné, ressentir du dégoût face à l'état du monde. Depuis 1998, il se dégrade encore et encore, en moins de temps qu'il n'en faut pour passer du baggy au slim, il avait déjà connu de nouvelles guerres, de nouveaux tyrans. La musique, elle, n'en est que meilleure mais cela est une autre histoire.

"Hier encore je n'étais rien, aujourd'hui je représente le choléra".

Ne passez pas à côté de ces groupes français aussi méconnus qu'ils sont géniaux et soyez cannibales

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